05/11/2020

Valéry Giscard d’Estaing: «Dès lors que vous prenez la plume,vous parlez de vous»

lefigaro.fr 
L’ancien président de la République et académicien publie, ce jeudi, un nouveau livre, Loin du bruit du monde (XO Éditions). C’est son cinquième roman depuis la parution de Passage, en 1994.

LE FIGARO. - Avec votre nouveau livre, Loin du bruit du monde, qui paraît demain, vous avez choisi une nouvelle fois la forme romanesque. Pourquoi?

Valéry GISCARD D’ESTAING. - En relisant mon livre, je me suis dit qu’en fait, ce livre, je l’ai écrit pour moi! Ce qui est probablement vrai pour la plupart des auteurs d’ailleurs. La littérature permet de créer des personnages, d’inventer des situations avec des emprunts à la réalité, aux souvenirs ou à l’observation. C’est une forme d’écriture qui permet l’oubli, la possibilité d’un autre monde.

Votre héros, André Reilly, est un ancien président du Sénat qui décide un jour de disparaître, de se défaire de ses liens avec la France pour s’installer en Afrique. Avez-vous eu parfois cette tentation? Le désir, plus fort que tout, d’être libre? L’impression d’être emprisonné?

Non, je ne me suis jamais senti emprisonné. Mon personnage, André Reilly, qui est plus le double de René Monory que le mien, ressent un besoin d’évasion, la nécessité de s’attacher à un endroit inaccessible. Il disparaît parce que le monde dans lequel il vit ne l’intéresse plus, parce qu’il a été trahi, s’est senti écarté, rejeté et que les personnes qui l’ont trahi l’ont découragé de faire partie du système. Le sujet de ce livre est donc avant tout celui de la disparition. Peut-on disparaître et vivre? La réponse est oui. Et on peut disparaître sans remords. Continuer à vivre dans un autre environnement.

L’Afrique apparaît encore en toile de fond de ce livre, comme dans votre précédent roman Mathilda. C’est un continent que vous connaissez bien. Les personnages du livre sont-ils inspirés de personnages que vous connaissez?

Ce livre se passe dans une petite partie de la République centrafricaine, comprise entre deux grands ensembles: le Soudan au Nord, et l’ex-Zaïre, la République démocratique du Congo (RDC), au Sud. C’est une espèce de pointe qui avance. J’y suis allé à plusieurs reprises et cela n’a que peu changé. C’est une partie de l’Afrique qui a été un peu dévastée, notamment par la chasse mais, comme elle est assez inaccessible et qu’il n’y a aucun confort, elle ne s’est pas beaucoup développée. L’histoire se déroule dans une maison qui existe. Elle a été construite par un Anglais. Le personnage qui, dans le roman, s’appelle Marc était un ami. La petite ville Derbisaka existe, elle aussi, de même que le prêtre flamand (Van Eck) qui essayait de catéchiser la population et souhaitait qu’on lui offre une cloche.

Mon livre ne contient que très peu de jugements. Je me contente d’observer ce qui se passe

Valéry Giscard d’Estaing

Dans le récit, vous décrivez notamment de longues scènes de chasse d’éléphants, avec une précision de connaisseur. Ne craignez-vous pas de vous attirer les foudres des écologistes?

Il y a des années, j’ai vu des troupeaux d’éléphants dans la savane, c’est pour moi un souvenir vivant. Mais mon livre se situe ailleurs. Il ne contient que très peu de jugements. Je me contente d’observer ce qui se passe. Aujourd’hui, on ne tire plus de gros animaux, même des sangliers, des cerfs. Vous noterez d’ailleurs que, dans mon roman, c’est l’éléphant qui a le dernier mot.

On peut voir dans certains dialogues des allusions au monde d’aujourd’hui. Quand Marc évoque à un moment «une sorte de crise ou une variété de déclin», n’est-ce pas vous qui parlez à travers lui?

Non, c’est ce qu’il pense. Je laisse les personnages être ce qu’ils sont, vivre leur vie. Je ne m’approprie pas leur identité. Même si, dès lors que vous prenez la plume pour écrire, vous parlez de vous.

André Reilly a tout de même des points communs avec vous. Il emporte ainsi une valise pleine de livres, parmi lesquels il y a vos auteurs favoris. Si vous deviez choisir, quels ouvrages emporteriez-vous?

Sûrement Tolstoï, sûrement Maupassant. Un livre de Jean d’Ormesson aussi. J’ai d’ailleurs entretenu avec lui des rapports très curieux. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, il avait 8 ans et moi 7. Nous avons été très intimes à certains moments. Il écrivait toujours plus ou moins le même livre où figuraient un ou deux de ses amis, une jeune femme et Dieu. Ce qu’il a écrit à ce sujet, à la fin de sa vie, est d’ailleurs absolument remarquable et mérite la lecture!

Une véritable crise de civilisation a commencé au début des années 2000 : notre civilisation a cessé, depuis, de se considérer comme créatrice d’art, de constructions

Valéry Giscard d’Estaing

Et vous, la foi est-elle présente dans votre vie?

Oui. D’abord, à travers la pratique hebdomadaire, comme s’y astreignait aussi le général de Gaulle. C’était encore la France chrétienne. Après lui et moi, la pratique régulière a été abandonnée.

Que pensez-vous de la situation actuelle: de cette crise sanitaire qui vient s’ajouter à une crise économique qui se profile et à une expansion de l’islamisme?

Ces crises viennent après des changements politiques intervenus dans les dernières décennies. Ces changements ont certainement affaibli, voire probablement défait la configuration française. Les civilisations, c’est compliqué, c’est un ensemble à la fois de règles d’organisation, de force pour les faire appliquer et de transmission par l’éducation. Une véritable crise de civilisation a commencé au début des années 2000: notre civilisation a cessé, depuis, de se considérer comme créatrice d’art, de constructions. Elle ressent la nécessité de protéger ce qui existe, de l’entretenir à la limite, mais plus la nécessité de créer.

Qu’inspire à l’ancien président de la République et au romancier que vous êtes désormais cette période plus que troublée que traverse la France?

Cette période est, en effet, troublée par la conjonction de crises exceptionnelles, à l’occasion desquelles apparaissent des fissures, des fragilités. Mais la défiance et la peur n’apportent rien de bon, elles sidèrent et nous empêchent d’agir. Souhaitons que le contexte sanitaire revienne bientôt à la normale pour que nous puissions nous relever de cette période pénible et aller enfin de l’avant. La France en a grand besoin.

 

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