Il est à ce jour le dernier géant de l'Histoire de France. Toutes ses actions, en bien ou en mal, ont été guidées par l'amour de son pays. Humble devant la France, de Gaulle a pu se montrer intraitable avec ses concitoyens quand, de son point de vue, l'intérêt supérieur de la Nation était en jeu. En cela, il s'est comporté en homme d'État.
Mais Charles de Gaulle fut aussi un écrivain ! Ses Mémoires de guerre en trois tomes (L'Appel, L'Unité, Le Salut) le rangent parmi les plus grands mémorialistes de notre littérature. Plus que son alter ego Churchill, il eut mérité à ce titre un Prix Nobel...
Le futur général et président naît à Lille le 22 novembre 1890 dans une famille bourgeoise d'origine flamande comme semble l'indiquer son patronyme. Son père Henri, admissible à Polytechnique, renonça à se présenter à l'oral pour devenir au plus vite enseignant et soutenir financièrement sa famille. Il fut ensuite censeur ou directeur d'école dans l'enseignement catholique.
Élevé dans l'espoir d'une « revanche » et du retour de l'Alsace-Lorraine à la France, Charles de Gaulle envisage très tôt la carrière militaire. Il entre en 1909 à l'école d'officiers de Saint-Cyr, où son tempérament ombrageux et autoritaire lui vaut le surnom de « Connétable » ! À sa sortie en 1912, le jeune officier rejoint le régiment de Philippe Pétain, avec lequel il se lie d'amitié malgré leurs différences : Pétain, issu d'une famille de paysans du nord, agnostique et volontiers anticlérical, ne ressemble en rien à de Gaulle, bourgeois catholique et monarchiste, rallié à la République par raison.
Vocation militaire
Avec son épouse, une lointaine cousine du nom de Jeanne Maillot, il forme un couple pieux et de sensibilité monarchiste mais également dreyfusard. Leur morale imprègne durablement leurs cinq enfants dont leur fils Charles qui confiera qu'« il jamais eu qu'un seul ennemi, c'est l'argent ».
Blessé à Verdun, le 2 mars 1916, d'un coup de baïonnette, le jeune officier est fait prisonnier et doit attendre l'armistice pour être libéré en dépit de cinq tentatives d'évasion, sa haute taille (1,96 mètre) le rendant facilement repérable !
Regrettant de n'avoir pu servir plus activement pendant la Grande Guerre, il accompagne le général Henrys et le général Weygand dans leur mission militaire auprès de l'Armée populaire polonaise, en lutte contre les bolchéviques russes. Il effectue deux séjours en Pologne d'avril 1919 à mai 1920 et de juin 1920 à janvier 1921.
Cocon familial
De retour en France, le capitaine en profite pour se marier le 7 avril 1921. L'élue est une jeune fille de la bourgeoisie calaisienne, Yvonne Vendroux.
Discrète et pieuse, Yvonne de Gaulle sera affectueusement surnommée « Tante Yvonne ! » par les Français pendant son séjour à l'Élysée au côté de son mari.
Le couple aura trois enfants : Philippe, né le 28 décembre 1921, futur amiral, Élisabeth, née le 15 mai 1924, épouse d'Alain de Boissieu, et Anne, née le 1er janvier 1928.
Trisomique, la benjamine va devenir le ciment du couple et le grand amour de son père, lequel, d'un naturel d'ordinaire réservé, s'abandonne auprès d'elle en lui chantant des « ou pachou pachou paya ! ».
En 1934, le couple achète en viager la Boisserie, à Colombey-les-deux-Églises
(Haute-Marne) pour lui offrir un hâvre de paix. En 1945, il crée la
fondation Anne-de-Gaulle pour les jeunes handicapées et le général lui
reversera tous ses droits d'auteur.
Victime d'une pneumonie à 20 ans, Anne meurt le 6 février 1948 à Colombey-les-deux-Églises. « Anne était aussi une grâce, confiera son père. Elle m'a aidé à dépasser tous les échecs et tous les hommes, à voir plus haut ».
Opinions tranchées
Passionné d'écriture et de stratégie militaire, Charles de Gaulle enseigne l'Histoire à l'école d'officiers de Saint-Cyr puis entre à l'École de Guerre pour devenir officier d'état-major.
Il écrit des articles où il affiche ses convictions nationalistes et un tantinet monarchistes ainsi que sa foi dans la vocation coloniale de la France. Il publie un premier ouvrage, La discorde chez l'ennemi (Berger-Levrault, 1924).
Son caractère impétueux, ses convictions et son ambition lui valent la méfiance de ses supérieurs mais il va pouvoir poursuivre sa carrière grâce à la protection du prestigieux Pétain, général et enfin Maréchal. Celui-ci, devenu vice-président du Conseil supérieur de la guerre, l'appelle à son état-major (1925-1927) et l'invite à prononcer trois conférences à l'École de guerre.
Charles de Gaulle est affecté en qualité de commandant ou chef de bataillon à Trèves, en Allemagne, puis à Beyrouth où il s'installe avec sa famille de novembre 1929 à février 1932 et rédige Le Fil de l'Épée.
Pétain lui offre une nouvelle opportunité en l'affectant au Conseil supérieur de la défense nationale où il va pouvoir s'initier au fonctionnement de la politique et développer ses théories militaires.
Dans Vers l'Armée de métier (Berger-Levrault, 1934), il préconise de rassembler les engins motorisés dans des divisions blindées au lieu de les disperser dans les différents corps de l'infanterie.
Il plaide pour une stratégie offensive dont le fer de lance seraient ces corps blindés appuyés par l'aviation. Ces corps d'élite devraient naturellement être constitués de soldats professionnels, dûment formés, et non de conscrits. Ces idées puisent leurs racines dans les rapports du général Estienne (1917) et de quelques autres pionniers anglais et allemands comme le général von Seeckt (1929). Mais elles sont contestées par le maréchal Pétain et vont à l'encontre des théories défensives qui ont cours à l'état-major.
L'état-major français fait confiance à la ligne Maginot pour protéger le pays de toute invasion... cependant qu'en Allemagne, dès novembre 1934, sont créées trois Panzerdivisions (ou divisions blindées) conformes aux principes de De Gaulle.
Dans les cénacles politiques français, le leader socialiste Léon Blum rejette le principe d'une armée de métier dans lequel il voit une menace pour la démocratie. Seul parmi les leaders politiques, Paul Reynaud se laisse convaincre par l'argumentation du colonel de Gaulle.
Sa dernière publication, La France et son armée (1938), vaut à Charles de Gaulle une brouille définitive avec son mentor, le maréchal Pétain, qui devait signer l'ouvrage. De Gaulle, refuse de jouer le nègre du maréchal et le publie sous son seul nom. Les deux hommes suivront désormais des chemins opposés.
Fausses prophéties
Lucide sur les questions de stratégie, de Gaulle l'est moins en ce qui concerne la géopolitique. Dans son ouvrage : Vers l'Armée de métier, paru un an après l'accès de Hitler au pouvoir, il se risque ainsi à prophétiser imprudemment la Fin de l'Histoire : « Quel profit réel et durable procureraient à présent des annexions démesurées, quand on n'a plus, pour fixer les allogènes aux empires, ni droit divin, vassalité, servage, ni diètes à corrompre, clercs à effrayer, noblesse à séduire, mais seulement la violence ? Après d'intenses bouillonnements, le monde s'est cristallisé (...) » (page 80).
Un peu plus loin, l'officier affiche sa vision de l'empire colonial : « Les mille liens tissés entre la Métropole et ses possessions d'outre-mer ne cessent de se multiplier (...). Certes, s'il nous est donné de poursuivre notre oeuvre jusqu'à ce point du progrès où la sagesse vient aux élites et le loyalisme aux foules, on verra des populations, actuellement mal résignées, accepter franchement l'union. Mais, jusque-là, restons les maîtres, sous peine que tout soit perdu (...) » (page 91). Ces lignes témoignent d'une opinion très conservatrice sur la question coloniale, même au regard de l'époque. Elles sont publiées en effet quelques mois avant que les Britanniques n'accordent à leur principale colonie, les Indes, une très large autonomie annonciatrice de leur indépendance.
La tragédie
En 1940, pendant les jours cruciaux de mai et juin qui voient l'invasion de la France par les troupes de Hitler, les destins de Charles de Gaulle et Philippe Pétain se séparent à jamais.
Le 17 mai 1940, le colonel de Gaulle conduit une contre-attaque réussie à Montcornet, près de Laon, à la tête de la 4e division cuirassée dont il a reçu le commandement trois jours plus tôt.
Il obtient un nouveau succès à Abbeville le 28 mai. Cela lui vaut d'être nommé général de brigade à titre temporaire le 1er juin 1940.
Et le 6 juin 1940, son ancien protecteur Paul Reynaud l'appelle au gouvernement en qualité de sous-Secrétaire d'État à la Défense nationale.
Tandis que le vieux maréchal, de nature défaitiste, envisage très tôt l'armistice et la paix avec le vainqueur, Charles de Gaulle, désormais général et membre du gouvernement, ne voit d'autre avenir que dans la résistance à tout prix.
À la différence de la plupart de ses contemporains, il est convaincu que le conflit se mondialisera tôt ou tard, avec l'entrée en guerre des États-Unis, rendant inéluctable la défaite de Hitler, et déjà il lui paraît essentiel que la France figure parmi les vainqueurs au jour de la victoire.
Dès le 9 juin, il s'en entretient à Londres avec le Premier ministre britannique Winston Churchill et en rapporte le 14 juin la proposition d'une union politique complète entre les deux pays !
Mais deux jours plus tard, de guerre lasse, Reynaud démissionne. Il est remplacé par le maréchal Pétain à la tête du gouvernement. Or Pétain ne cache pas son désir d'arrêter au plus vite les combats.
Alors, défiant le sentiment de l'écrasante majorité des Français, de Gaulle fait le pari fou de défier le gouvernement légitime et de proclamer, seul, le maintien de la France dans la guerre.
L'Appel
Il songe dans un premier temps à démissionner du gouvernement mais Georges Mandel l'en dissuade : « Ne pensez qu’à ce qui doit être fait pour la France et songez que, le cas échéant, votre fonction actuelle pourra vous faciliter les choses ». Effectivement, grâce aux facilités de transport que sa fonction met à sa disposition, il peut quitter Bordeaux pour Londres dès le 16 juin à bord de l'avion du général Spears.
Le 18 juin 1940, de Gaulle lance un Appel mémorable à la radio de Londres : « Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi. Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas ». C'est la première fois qu'il est fait mention de la Résistance...
L'Histoire consacrera la justesse de ce choix. La témérité de De Gaulle, soutenue par une analyse lucide des rapports de force planétaires, aura raison de la lâcheté des gouvernants de Vichy et les Français finiront par reconnaître la justesse de ses positions.
Mais pour l'heure, de Gaulle, général deux étoiles à titre provisoire, doit imposer sa légitimité et cela n'a rien d'évident, d'autant que le 3 juillet 1940, le Premier ministre britannique, bien que francophile dans l'âme, se résout à une décision crève-coeur : bombarder la flotte française cantonnée à Mers el-Kébir (Algérie) pour éviter qu'elle ne tombe aux mains des Allemands. Il s'ensuit la mort de 1300 soldats français.
L'opinion publique française s'indigne et à Londres, de Gaulle voit se tarir momentanément les ralliements. Le 2 août 1940, le gouvernement français le fait juger par contumace et condamner à mort.
Le général a heureusement la chance d'être soutenu par Churchill, en dépit des frictions entre leurs deux caractères. Bénéficiant de son aide financière, il peut fonder un Comité de la France libre et recruter quelques poignées de soldats évacués de Norvège.
Il tente aussi d'établir son autorité sur les colonies françaises d'Afrique. Le gouverneur du Tchad Félix Éboué est le premier à se rallier à lui, le 26 août 1940. Le Congo, le Cameroun et le Gabon sont entraînés peu après vers la France Libre.
Pour le reste, il se heurte à un échec humiliant devant Dakar les 23-25 septembre 1940. Pour la première et seule fois de sa vie, il songe alors au suicide mais il se ressaisit devant la détermination de ses hommes à poursuivre le combat et dès lors va suivre sans faillir ce qu'il pense être son destin.
Perçu comme un être hautain, de Gaulle s'en explique dans ses Mémoires (L'Appel, page 140) : « (...) l'émotion enthousiaste que je venais de rencontrer, je la retrouverai toujours, en toutes circonstances, dès lors que la foule serait là. Je dois dire qu'il allait en résulter pour moi-même une perpétuelle sujétion. Le fait d'incarner, pour mes compagnons, le destin de notre cause, pour la multitude française le symbole de son espérance, pour les étrangers la figure d'une France indomptable au milieu des épreuves, allait commander mon comportement et imposer à mon personnage une attitude que je ne pourrais plus changer. Ce fut pour moi, sans relâche, une forte tutelle intérieure en même temps qu'un joug bien lourd ».
L'année suivante, de Gaulle obtient grâce à l'intervention anglaise le ralliement de la Syrie et du Liban et en 1942 celui de Madagascar, la Réunion et Djibouti.
Le plus compliqué est son rapport avec le président américain Franklin D. Roosevelt qui persiste à traiter avec le gouvernement de Vichy, voit en de Gaulle une graine de dictateur et préfèrerait à tout prendre le général Henri Giraud pour diriger les Français du camp allié.
Le chef de la France libre se veut intraitable car il a conscience d'incarner son pays. Sur les instances de Churchill, il consent toutefois à se rendre à la conférence de Casablanca et serrer la main de Giraud le 24 janvier 1943.
Grâce au relais de Jean Moulin, de Gaulle arrive à unifier la résistance de l'intérieur, communistes compris. La constitution du Conseil national de la Résistance, à Paris le 27 mai 1943, consolide sa légitimité. Le CNR, sur une proposition de Georges Bidault, confie à de Gaulle la direction politique du mouvement et laisse à Giraud les affaires militaires.
Sur la base de ce compromis, de Gaulle obtient de Churchill et Roosevelt l'autorisation de s'installer à Alger le 30 mai 1943. Le 3 juin 1943 est constitué un Comité français de libération nationale coprésidé par de Gaulle et Giraud.
Dans les mois qui suivent, de Gaulle, plus fin et plus politique que son rival, évince Giraud puis appelle auprès de lui d'anciens parlementaires de la IIIe République dont Pierre Mendès France. Il va enfin réunir une Assemblée consultative en novembre 1943 et transformer enfin le CFLN en gouvernement provisoire de la République française le 3 juin 1944.
Deux jours plus tard, convoqué à Londres à la veille du débarquement de Normandie, le général a un entretien orageux avec Churchill.
Ce dernier lui souffle : « Sachez-le, général ! Chaque fois qu'il nous faudra choisir entre l'Europe et le grand large, nous serons toujours pour le grand large. Chaque fois qu'il me faudra choisir entre vous et Roosevelt, je choisirai Roosevelt ».
Churchill apprend à de Gaulle que les Alliés envisagent d'établir en France une administration à leurs ordres en attendant que les Français veuillent bien se choisir un nouveau régime. Cette mise sous tutelle rend caduque l'action du général depuis l'Appel du 18 juin 1940.
De Gaulle n'entend pas se laisser faire. Il considère que la continuité de l'État français est assurée par lui-même depuis ce 18 Juin et qu'il n'y a pas lieu de se demander à qui reviendra après la Libération le soin de diriger le pays !
Ayant quitté en mai 1943 son exil londonien pour Alger, le général s'impose à la tête du Comité de libération nationale, qu'il transforme bientôt en gouvernement provisoire.
Le 6 juin 1944, jour du débarquement de Normandie, il prononce au micro de la BBC un discours vibrant à l'adresse de tous les Français :
« La Bataille suprême est engagée !
Après
tant de combats, de fureurs, de douleurs, voici venu le choc décisif,
le choc tant espéré. Bien entendu, c'est la bataille de France et c'est
la bataille de la France !... »
Enfin, avec une énergie peu commune, il obtient de Roosevelt, qui ne l'aime pas, qu'il revienne sur son projet de placer la France sous protectorat américain avec, comme en Allemagne, une monnaie d'occupation !
Le renouveau
Après un retour triomphal à Paris le 25 août 1944, le général de Gaulle met toute son énergie dans le redressement du pays. Il obtient en particulier la collaboration des communistes, faisant fi de la désertion de leur chef, Maurice Thorez lors de l'attaque allemande et de leurs compromissions avec l'occupant en 1940.
De Gaulle rétablit la position internationale du pays.
Bien que vaincue dès 1940, la France, qualifiée de « cinquième Grand », obtient grâce à la ténacité du Général une place parmi les vainqueurs lors de la capitulation du IIIe Reich le 8 mai 1945 ainsi qu'au Conseil de sécurité de l'ONU. De Gaulle s'en justifie par le fait que le deuxième conflit mondial (39-45) est indissociable du premier (14-18), durant lequel la contribution de la France fut essentielle. Lui-même qualifie ce drame avec justesse de « nouvelle guerre de Trente Ans » dans un discours à Bar-le-Duc (28 juillet 1946).
En matière économique, le général tourne le dos au libéralisme et affiche des idéaux que n'auraient pas reniés les gouvernants précédents.
C'est ainsi que, dans un discours prononcé à Lille le 1er octobre 1944, il proclame :
« Nous
voulons la mise en commun de tout ce que nous possédons sur cette terre
et, pour y réussir, il n'y a pas d'autres moyens que ce que l'on
appelle l'économie dirigée. Nous voulons que ce soit l'État qui
conduise, au profit de tous, l'effort économique de la nation tout
entière et fasse en sorte que devienne meilleure la vie de chaque
Français et de chaque Française (...). Il faut que la collectivité,
c'est-à-dire l'État, prenne la direction des grandes sources de la
richesse commune et qu'il contrôle certaines des autres
activités, sans bien entendu exclure les grands leviers que sont, dans
l'activité des hommes, l'initiative et le juste profit ».
Ce discours et les premiers actes du gouvernement provisoire, parmi lesquels le droit de vote étendu aux femmes, séduisent les communistes ainsi que les intellectuels, pleins de méfiance à l'égard du capitalisme anglo-saxon et de sympathie pour le dirigisme à la manière des dictatures continentales.
Accès de mélancolie
Général de grande taille, à la voix forte et au regard acéré, possédé par le sentiment d'une mission historique au service de la France, Charles de Gaulle paraît aussi solide qu'un roc ou un chêne.
La réalité est sans doute plus nuancée. L'homme a éprouvé la fragilité humaine à travers l'affection pour sa fille trisomique Anne. Plusieurs fois aussi dans sa vie publique, il a connu de pénibles échecs et songé à se retirer. La première fois, ce fut sans doute à l'issue de l'expédition de Dakar, en septembre 1940, après que des Français s'entretuèrent sur son ordre sans résultat. Il y eut ensuite, à la Libération, le difficile atterrissage dans la politique ordinaire, qui aboutit à sa démission de la présidence du gouvernement provisoire en janvier 1946.
De retour au pouvoir, il encaissa très mal la mise en ballotage à l'issue du premier tour des élections présidentielles de 1965. Pris de court par les événements de Mai 68, il alla en secret chercher du réconfort à Baden-Baden, auprès du général Massu. L'accalmie fut de courte durée. Après le référendum de 1969, il démissionna avec panache de la présidence.
Déconvenues et revanche
Inspiré
dans la guerre, de Gaulle l'est beaucoup moins dans la paix. Il se
montre très attaché à l'héritage de la colonisation comme le montre le discours de Brazzaville (30 janvier 1944) :
« Depuis
un demi-siècle, à l'appel d'une vocation civilisatrice vieille de
beaucoup de centaines d'années, sous l'impulsion des gouvernements de la
République et sous la conduite d'hommes tels que : Gallieni, Brazza,
Dodds, Joffre, Binger, Marchand, Gentil, Foureau, Lamy,
Borgnis-Desbordes, Archinard, Lyautey, Gouraud, Mangin, Largeau, les
Français ont pénétré, pacifié, ouvert au monde, une grande partie de
cette Afrique noire, que son étendue, les rigueurs du climat, la
puissance des obstacles naturels, la misère et la diversité de ses
populations avaient maintenue, depuis l'aurore de l'Histoire,
douloureuse et imperméable... »
À la différence des Britanniques, il ne comprend pas le caractère inéluctable de la décolonisation et laisse la France s'embourber dans les conflits d'Indochine et d'Algérie. Il réprime ainsi dans le sang une manifestation d'autonomistes algériens à Sétif et restaure tant bien que mal l'autorité du gouvernement français sur l'Indochine.
Bientôt désavoué par les électeurs et la classe politique, le Général est évincé du pouvoir en janvier 1946. À son grand désappointement, le gouvernement provisoire est remplacé un an plus tard par une IVe République calquée sur la précédente, avec un régime parlementaire conduit par des dirigeants modérés, essentiellement MRP (chrétiens-démocrates), socialistes et radicaux.
Mais Charles de Gaulle ne se résigne pas à la retraite. Dès le 16 juin 1946, à Bayeux, devant la foule de ses fidèles, il formule une alternative constitutionnelle à la IVe République en appelant à une stricte séparation du pouvoir législatif (le Parlement) et du pouvoir exécutif (le gouvernement et le chef de l'État) Mais sa proposition laisse la classe politique et l'opinion indifférentes...
L'année d'après, le Général fonde son propre parti, le Rassemblement du Peuple Français (RPF). De nature protestataire, celui-ci joint les voix de ses élus à celles des communistes pour entraver l'action du gouvernement. Il s'oppose à l'abandon de l'Indochine et des autres colonies ainsi qu'au projet de Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) ; il fait capoter le projet de Communauté Européenne de Défense (CED)... En 1953 enfin, prenant acte de l'inanité de son action, de Gaulle se met en retrait du RPF et se retire dans sa résidence de Colombey-les-deux-Églises.
Il profite de ses loisirs forcés pour écrire ses Mémoires de guerre. Ce livre de combat apparaît aussi avec le recul du temps comme un chef-d'oeuvre de la littérature française, fruit d'un travail personnel très intense. « Ces Mémoires me donnent énormément de mal pour les écrire et pour en vérifier tous les éléments historiques au détail près. Comprenez-vous, je veux en faire une oeuvre, ce n'est pas ce qu'a fait Churchill qui a mis bout à bout beaucoup de choses », écrit de Gaulle dans une lettre à Louis Terrenoire le 26 décembre 1953, peu après que son vieux rival eut obtenu le Prix Nobel de littérature.
Après une longue « traversée du désert », le Général revient au pouvoir à la faveur du vrai-faux coup d'État du 13 mai 1958 : les Algérois d'origine européenne, craignant d'être lâchés par le gouvernement, en appellent à de Gaulle pour maintenir la souveraineté de la France sur l'Algérie. De sa retraite de Colombey-les-deux-Églises, de Gaulle fait répondre qu'il se tient prêt à « assumer les pouvoirs de la République ». Le 19 mai, il donne une conférence de presse pour dire qu'il refuse de recevoir le pouvoir des factieux d'Alger. Aux journalistes qui s'inquiètent de l'éventualité d'une dictature, il lance : « Croit-on qu'à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ? ».
Par crainte d'une subversion militaire, la classe politique lui fait allégeance et le président René Coty demande le 29 juin au « plus illustre des Français » de former le gouvernement. Aussitôt après, le général de Gaulle obtient les pouvoirs spéciaux en Algérie, les pleins pouvoirs en métropole et le droit de procéder à une révision constitutionnelle.
Une Constitution sur mesure
Charles de Gaulle fait appel au fidèle Michel Debré pour écrire une nouvelle Constitution selon ses voeux. Celle-ci établit un régime présidentiel. Un collège électoral relativement large élit pour sept ans un président qui n'est pas responsable devant le Parlement. Approuvé par référendum le 28 septembre 1958, le nouveau texte marque la fin de la IVe République et le début de la Ve.
Le premier président de la République est, cela va de soi, le général de Gaulle lui-même. Sa légitimité est renforcée après le référendum du 28 octobre 1962 qui introduit l'élection au suffrage universel du Président de la République.
Entre temps, le chef de l'État use de son autorité pour opérer les grandes réformes qu'attend le pays. Il met en application le plan de Jacques Rueff pour relancer l'économie. Le populaire ministre de l'Économie Antoine Pinay réussit à convaincre l'opinion publique des bienfaits de ce plan de rigueur qui passe notamment par la création d'une nouvelle monnaie (1 nouveau franc = 100 anciens francs).
Les colonies d'Afrique noire reçoivent une indépendance formelle au cours de l'année 1960 (mise à part la Guinée, dont le principal leader, Sékou Touré, a revendiqué et obtenu l'indépendance dès 1958, dans des conditions d'ailleurs désastreuses). Le général de Gaulle, fort de son prestige, va veiller à conserver des liens étroits avec elles en s'appuyant sur un conseiller de l'ombre, Jacques Foccart, instigateur de la « Françafrique ».
Plus douloureux est le règlement de l'affaire algérienne. Le général de Gaulle doit longtemps louvoyer pour faire admettre aux colons le lâchage de l'Algérie. Le cessez-le-feu du 19 mars 1962, l'indépendance du pays et le départ précipité d'un million de « pieds-noirs » (les Français d'Algérie) vont laisser beaucoup de rancoeurs : jusqu'en 1963, le pays va vivre dans la crainte des attentats de l'OAS (Organisation de l'Armée secrète), dont certains dirigés contre le président lui-même, tel celui du Petit-Clamart, le 22 août 1962.
Pour faire face à ces difficultés, de Gaulle, dont la probité personnelle est incontestable, s'appuie sur des gens sans scrupules qui vont être à l'origine de nombreux scandales politiques et financiers jusque dans les années 1970 : « barbouzes » du SAC (Service d'Action civique), affaire Ben Barka, Garantie foncière etc.
La France n'en retrouve pas moins son rang parmi les grandes nations comme l'attestent les visites officielles du chancelier Adenauer et du président Kennedy...
Enfin la paix et la prospérité
Après l'épreuve algérienne, la France va jouir enfin de quelques belles années de paix et de prospérité, favorisée par une natalité élevée, une jeunesse nombreuse et le dynamisme des rapatriés « pieds-noirs ».
Avec Georges Pompidou, qui remplace Michel Debré le 14 avril 1962 au poste de Premier ministre, l'État s'engage dans une politique industrielle très active qui va hisser la France dans le peloton de tête des grandes puissances : programme ferroviaire à grande vitesse, modernisation du téléphone, construction d'autoroutes, supersonique Concorde et conquête spatiale, programme nucléaire, constitution de groupes industriels majeurs dans l'informatique, l'énergie, la mécanique, la pharmacie etc.
Le général de Gaulle se cantonne plus ou moins dans le « domaine réservé » de la politique étrangère qui lui tient à coeur. Par volonté d'indépendance à l'égard de Washington, il retire l'armée française du cadre opérationnel de l'OTAN. Il développe une force nucléaire de dissuasion (l'armement nucléaire, sans rivaliser avec celui des Américains ou des Soviétiques, se veut assez dissuasif pour faire à un ennemi potentiel autant de mal qu'il pourrait en faire à la France).
Il reprend à son compte la construction européenne lancée par le traité de Rome du 25 mars 1957 mais s'oppose à la dilution de la Communauté Économique Européenne (CEE) dans un ensemble atlantique inféodé aux États-Unis et pour cela rejette l'entrée de la Grande-Bretagne dans l'Europe des Six. Il s'oppose tout autant à la fédéralisation de l'Europe et lui préfère une « Europe des Nations ».
Pour cette raison, le 30 juin 1965, lorsqu'est envisagé le remplacement de la règle de l'unanimité par la règle de la majorité simple, il boycotte le Conseil des ministres de la CEE. Cette « politique de la chaise vide » se conclut le 30 janvier 1966 par le compromis du Luxembourg, qui réserve la règle de l'unanimité aux décisions majeures.
De Gaulle lance enfin quelques retentissantes proclamations, à Phnom Penh (Cambodge) en septembre 1966 contre l'intervention américaine au Viet-Nam, à Québec en juillet 1967 (« Vive le Québec libre ! »)...
Lorsque survient la troisième guerre israélo-arabe en 1967, l'opinion occidentale est tout entière de coeur avec Israël et il n'y a que le général de Gaulle pour faire entendre une musique différente, jusqu'à annoncer un embargo contre Israël. Dans une conférence de presse, le 27 novembre 1967, il qualifie ce pays de « peuple juif, peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur ». Dur à avaler de la part d'un leader occidental qui, pendant la Seconde Guerre mondiale et après, n'a pas eu un mot de compassion pour les victimes de la Shoah.
Au terme de son septennat, de Gaulle hésite à se représenter. Mais il cède finalement à la tentation de mettre à l'épreuve l'élection du chef de l'État au suffrage universel !
Mis en ballotage aux élections présidentielles des 5 et 19 décembre 1965 et réélu au deuxième tour de scrutin seulement, le général voit sa popularité s'éroder. Il est secoué par les émeutes étudiantes et la grève générale de mai 1968, au point et l'année suivante, le 27 avril 1969, prenant prétexte d'un référendum raté, il démissionne sans attendre d'être rattrapé par l'âge.
De Gaulle meurt l'année suivante, dans sa maison de Colombey-les-Deux-Églises, à la veille de ses 80 ans. Il est selon son désir inhumé en toute simplicité dans son village d'adoption aux côtés de sa fille Anne.
André Larané Herodote
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