15/11/2020

Bridgestone : En se fourvoyant, la classe politique prépare d’autres faillites industrielles.

Au-delà du désastre social dans une région qui a besoin d’emplois industriels, la classe politique française a non seulement échoué, mais en se fourvoyant comme elle l’a fait, elle va très certainement engendrer d’autres faillites industrielles. Une fois de plus, les responsables politiques ont créé une situation dans laquelle ils voudraient se donner le beau rôle de sauveur d’emplois, alors que tous ce qu’ils font, les discours, les promesses, les vraies et les fausses, contribuent à décourager les investisseurs. Tant que les responsables politiques n’auront pas compris qu’ils ne peuvent pas tout régenter en donnant des leçons à tout le monde, le système économique ira au fiasco, notamment dans le secteur industriel. La fermeture de Bridgestone était écrite de longue date.

Par lâcheté ou inexpérience, les hommes politiques, de droite comme de gauche, ont essayé de sauver l'outil à coup de subventions, de recommandations et même pour finir de menaces. On sait maintenant qu’ils n’ont rien sauvé. Plus grave, ils se sont déconsidérés aux yeux de leurs électeurs. Plus grave encore, ils ont sans doute découragé d’autres industriels, d’autres investisseurs, d’autres chefs d’entreprise de venir développer des affaires dans un pays où la classe politique veut se mêler de tout et faire des scandales.

Le départ de Bridgestone est un échec pour tout le monde. Non seulement les Japonais savent qu’ils ne reviendront jamais dans un pays où ils ont eu tellement d’ennuis administratifs, fiscaux , syndicaux... mais avec eux, il y évidemment une cohorte d’investisseurs qui vont barrer la France comme terrain possible d’installation.

Bridgestone est un fabricant de pneus japonais qui a des usines partout dans le monde et en Europe – notamment en Pologne, en Hongrie, mais aussi en France. Dans une mauvaise passe cette année due à la crise sanitaire et aux mutations de la demande automobile qui est globalement en baisse, le groupe multinational a cherché à rationaliser ses coûts et à repositionner sa production.

Dans ce cadre-là, l’usine de Béthune située dans le Nord de la France, qui produit des pneus de petit diamètre, n’apparaissait plus adaptée, selon Bridgestone, à la réalité des nouveaux marchés, tant en termes de demande que de prix.

Bridgestone n’a retenu aucun scénario que lui proposait Bercy, aidé du cabinet de conseil Accenture, poussé par la région Hauts de France. Malgré des investissements qui auraient été pris en charge par la sphère publique à 50% et malgré la volonté affichée des politiques et des syndicats de ne pas laisser partir l’industriel, la direction a clairement expliqué que «Bridgestone aurait continué à perdre de l'argent sur chaque pneu produit à Béthune ».

Quoiqu’il arrive, le coût social de cette fermeture est énorme. 863 emplois qui disparaissent dans un contexte de crise et une région industrielle déjà touchée par les départs, c’est évidemment beaucoup de chômeurs en plus.

Mais si la solution de maintenir l’usine en vie grâce à des investissements publics et privés était une proposition possible à court terme, l’idée de garder un modèle économique en respiration artificielle et sous perfusion n’est pas imaginable pour aucun investisseur privé. Est-ce à dire que l’investisseur en question, fut-il japonais, méritait d’être cloué au pilori et jeté en pâture parce qu’elle se retrouve obligée de fermer un site ? Sans doute pas. D’autant que les fonds japonais ne sont pas les plus cyniques du monde. Ils ne sont pas non plus les plus court-termistes. La culture économique des Japonais est orientée sur la préservation du long terme. Dans la forme comme dans le fond, ils auraient mérité un autre traitement.  Pour une raison très simple : parce qu’un tel évènement et un tel traitement reviennent largement à desservir, à terme, les intérêts de la France.

Ce passage en force des autorités françaises est forcément mal vu par tous les porteurs de projets qui voudraient justement s’installer sur le sol français. D’autant que ça n’est pas la première fois que les politiques français se comportent ainsi en croyant sauver leur réputation auprès de leurs propres clients que sont les électeurs. 

Dans toutes les banques d’affaires du monde, dans tous les cabinets d’ingénierie industrielle, on sait que la France a un problème de gestion de sa politique industrielle. Au-delà de ses couts de production qui sont élevés, mais qui se gèrent si le montant des couts sociaux correspond à une prestation de service de qualité, au-delà des équipements collectifs et des infrastructures, au-delà même de l’art de vivre à la française, tous ces éléments qui fabriquent la fameuse attractivité de la France, nous avons une arrogance de l’administration française couplée à une complexité insupportable, avec des hommes politiques qui pensent qu’un bon marketing électoral financé par les fonds publics peut tenir lieu d’une véritable politique industrielle qui serait financée et gérée par le privé.

Les démêlés que l’industriel aura avec les autorités françaises, les injonctions publiques et les règlementations menaçantes ne participent guère à renforcer l'attractivité.

« On va rentrer dans un bras de fer pour obtenir le maximum pour le site et les salariés. On ne part pas comme ça, en France» déclare par exemple Xavier Bertrand, président de la région des Hauts-de-France. «On a eu affaire à des menteurs »,« respecter les gens, c’est tout simplement accepter le plan B que l’on est en train de proposer » continue-t-il. Oui, il est évident que, pour les salariés, la continuation d’activité aurait été la meilleure des solutions, mais Bridgestone y a vu sa pérennité économique dans un contexte mondial, ce qui est le projet censé de toute entreprise.

« Bridgestone doit rembourser! » s’exclame Adrien Quatennens, député La France Insoumise de la région, en évoquant les aides perçues par le Japonais. Mais Bridgestone n’a accepté que des aides provenant de l’Union européenne, et qu’il pouvait donc attribuer à sa guise à des sites français, comme polonais ou hongrois, ce qu’il a finalement choisi de faire profitant du fonctionnement européen qui permet cela. En revanche, il a, à chaque fois, refusé toute aide d’investissement de l’État français ou de la région Hauts de France dans le site de Béthune, de laquelle il y aurait dû y avoir une conditionnalité de faire perdurer le site, si une telle aide avait été versée.

Les dirigeants de Bridgestone ne sont pas idiots et ils devaient en effet avoir en tête depuis quelques temps la fermeture de cette usine. La stratégie d’entreprise était sûrement très claire. Mais avoir accepté les aides de l’Union européenne ne les met aujourd’hui en aucun cas dans l’illégalité face à la fermeture de Béthune aujourd’hui.

Que peut faire aujourd’hui la classe politique française face à cet échec, à part de se lamenter sur cette casse sociale ?

Peut-être élaborer enfin, une stratégie industrielle résolument incitative, mais jamais punitive. Au niveau français, comme au niveau européen. En allant voir ce qui s’était fait, pas très loin de Béthune à Valenciennes où le maire de l’époque avait convaincu Toyota de s’y s’installer. C’était il y a presque trente ans. Toyota est toujours là... Preuve que la France n’est pas complètement incompatible au capitalisme international ou au marché mondial de l’automobile.

Source jeanmarc-sylvestre.com

1 commentaire:

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