30/09/2020

Vous appelez cela un débat ? Le « shitshow » de Trump face à Biden

Philippe Boulet-Gercourt, correspondant de « l’Obs » aux Etats-Unis, relate dans son carnet de campagne les petits et les grands moments de l’élection présidentielle du 3 novembre, un scrutin à haut risque. 

Quelquefois, il faut revenir au basique. Quand vous êtes candidat à la présidentielle, à quoi sert un débat ? A gagner l’élection, pas vrai ? Quand vous affichez un retard sérieux dans les sondages sur votre adversaire, quel doit être l’objectif ? Regagner des électeurs, non ?

On peut se demander si Donald Trump s’est jamais posé ces questions. Les yeux dans les yeux, demandons-nous tous ensemble : a-t-il convaincu un seul Américain indécis de voter pour lui ? A-t-il donné envie à un seul sympathisant, qui hésitait à voter de se précipiter vers un bureau de vote ? Evidemment non. Et cela n’a rien de surprenant. Trump n’a jamais eu la moindre discipline, il fonctionne à l’instinct et n’en fait qu’à sa tête. Il a foncé bille en tête, comme le taureau qu’on attendait… et cela n’a pas du tout marché.

Il fallait voir la tête des journalistes de CNN, juste après le débat. Dire qu’ils étaient consternés serait une litote. Pétrifiés, plutôt. Jake Tapper : « C’était horrible. » Dana Bash : « Un show de merde », un « manque complet de décence ». Abby Phillip : « Un désastre complet  [...] tout le truc a été une honte. » Le coupable ? Trump, qui n’a cessé d’aboyer sur Biden, l’interrompant à chaque phrase. « C’est difficile d’en placer une avec ce clown », a fini par lâcher le démocrate. Touché ! Le caïd en a tellement pompé l’oxygène, sur le plateau, que Mike Wallace, le modérateur, a dû lui rappeler qu’il violait les règles de débat que son camp avait acceptées.

« Tu peux la fermer, mec ? »

Mais franchement, qui est surpris ? Jack Safer, du site Politico, estimait avant le débat que ces derniers n’en étaient plus, qu’ils s’apparentaient plutôt à des conférences de presse en parallèle. Il s’est trompé. Une meilleure image est celle de Biden montant, fataliste, sur la selle d’un mustang sauvage bien décidé à le désarçonner. Il l’a fait avec calme, mi-sourire triste de devoir en arriver là, mi-regard perdu dans le vide, genre « mais comment a-t-on pu élire un bozo pareil ? » Cela aurait pu suinter l’arrogance, mais Joe n’est pas Hillary. Quand il lance à Trump, d’un air un peu las, « Est-ce que tu peux la fermer, mec ? » ou « Continue à japper », ce n’est pas l’establishment de Washington qui parle. C’est Joe-le-voisin, que l’on retrouve à bricoler sa bagnole le week-end sur le driveway de sa maison de banlieue.

Cette mêlée de cour de récré fut « un embarras pour l’Amérique », a-t-on entendu un peu partout. Sans doute. Mais là encore, qui cela surprend-il ?

On dira : Biden a gagné parce qu’il n’a pas perdu. Il ne s’est pas pris les pieds dans le tapis et ne s’est pas énervé. Soulagement dans les rangs démocrates. Mais ce n’est pas lui rendre justice : Biden a adopté une stratégie qui n’était pas sans risque, consistant à ridiculiser par le sourire les énormités de Trump tout en glissant ce qu’il pensait du personnage : « raciste », « paniquard » à propos du Covid-19, « menteur », « ne respecte jamais sa parole »

A la grande frustration de la gauche du parti, il n’a pas saisi les perches géantes qui lui étaient offertes sur la Cour suprême ou les impôts de Trump, préférant ramener la conversation (si l’on peut appeler ainsi ce magma verbal) sur le coronavirus et les vraies préoccupations des électeurs – notamment ceux des Etats clés, modérés, qui étaient son vrai objectif.

Proud Boys

Il a eu des baisses de régime, bien sûr. Des passages à vide sur le changement climatique ou d’autres sujets. Mais le montage de Fox News, montrant après le débat tous les prétendus « senior moments » de Biden, avait un côté désespéré : la plupart n’étaient que des mots bégayés. Toute l’Amérique, aujourd’hui, sait que Biden a vaincu le bégaiement de son enfance mais qu’il en reste quelques séquelles. « Sleepy Joe », finalement, n’était pas si endormi que cela : à en croire sa campagne, le candidat a reçu 3,8 millions de dollars de dons en une heure, vers la fin du débat !

Et Trump, sur le fond ? Fidèle à lui-même et cela ne devrait rassurer personne. Qu’il affirme avoir réussi dans tous les domaines, comme aucun président avant lui, passe encore. Seuls les fans de la secte apprécieront. Mais il est allé plus loin. D’abord en défendant le jeune type d’extrême droite qui a tué deux manifestants à Kenosha, dans le Wisconsin. Ou bien en refusant une nouvelle fois de condamner les suprémacistes blancs, allant même jusqu’à lancer à l’un des groupes, les Proud Boys : « Restez en arrière et en standby ». Inutile de dire que les Boys en question ont exulté sur les réseaux sociaux.

Ensuite et surtout, en continuant de menacer de refuser le résultat des élections et en appelant de ses vœux l’aide d’une Cour suprême ayant reçu le renfort d’Amy Coney Barrett : « Je compte sur eux pour regarder les bulletins de vote », « il va y avoir une fraude comme on n’en a jamais vu ». Plus il patine dans les sondages, plus il s’enferre dans le refus d’un échec. Mais pas de souci : les Proud Boys sont là, en standby, prêts à lui donner un coup de main. Ça promet.

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