Voici un long article de la journaliste et essayiste canadienne Naomi Klein, qui dénonce la mainmise croissante des Gafam sur nos vies. Pour elle, Internet devrait être un service public. Avec la pandémie, et dans les années à venir, le numérique va prendre une place croissante dans nos vies. Télétravail, enseignement à distance, télémédecine, commerce en ligne… Plus que jamais, le débat sur le contrôle d’Internet semble nécessaire.
C’est un article important, signé Naomi Klein, longtemps figure de l’altermondialisme et aujourd’hui très engagée dans le combat contre le réchauffement climatique. L’article a été publié récemment par le site d’investigation The Intercept, puis repris par The Guardian. Nous l’avons traduit en exclusivité en français dans notre dernier hors-série (“Repenser le monde”, sorti le 17 juin, en vente chez votre marchand de journaux et disponible sur nos applis et sur notre boutique). C’est un parti pris, une opinion très tranchée – comme à son habitude – de la journaliste et essayiste canadienne contre la mainmise des Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) sur nos vies. Mais nous voulions le partager avec l’ensemble de nos lecteurs, car les questions qu’il pose sont des questions fondamentales qui vont marquer les années à venir.
Que dit Naomi Klein ? Que les géants de la Silicon Valley ont profité de la pandémie pour étendre leur influence et tenter d’imposer une sorte de “New Deal numérique”. La journaliste cible particulièrement Eric Schmidt, l’ancien patron de Google, qui préside aujourd’hui le Conseil de l’innovation pour la défense, aux États-Unis, et la Commission nationale de sécurité sur l’intelligence artificielle (NSCAI) et, à ce titre, exerce une influence majeure sur les choix du Pentagone mais aussi du Congrès américain. Un mélange des genres que dénonce avec virulence la journaliste. Pour elle, si aujourd’hui Eric Schmidt encourage les dépenses publiques dans l’intelligence artificielle, dans les infrastructures nécessaires au déploiement de technologies comme la 5G, s’il pousse à la multiplication des partenariats privé-public, c’est que ces investissements bénéficient directement aux géants du numérique. Les Gafam, qui, selon Naomi Klein, “se sont tous repositionnés pour apparaître désormais comme les anges gardiens de la santé publique et les généreux laudateurs des ‘héros du quotidien’ sans lesquels l’économie ne tourne pas (dont beaucoup, comme les chauffeurs-livreurs, perdraient leur emploi si ces entreprises arrivaient à leurs fins)”.
Il ne s’agit pas de faire le procès des nouvelles technologies mais de réfléchir à la place que nous voulons leur donner et aux dérives qu’elles peuvent engendrer. À l’évidence, la pandémie a accéléré un mouvement déjà amorcé depuis quelques années. De nombreuses entreprises réfléchissent à pérenniser le télétravail. À la rentrée, les grandes universités britanniques vont développer les cours en ligne et même offrir des cursus complets à distance. Mais l’enseignement à distance, on l’a vu pendant le confinement, risque d’accentuer les inégalités et pénalise les populations qui n’ont pas accès à des ordinateurs, ni même à Internet. Ces déséquilibres, Naomi Klein les évoque largement. Dans ce numéro, pour contrebalancer son propos, nous avons sélectionné des articles sur des “expériences réussies” d’enseignement à distance, de télémédecine…
La pandémie, les mois de confinement ont montré que nous avions besoin de ces outils. Mais ils ne remplacent pas tout. Ils ne remplacent pas la présence de l’enseignant, la magie du face-à-face, comme l’explique joliment l’ancienne enseignante devenue écrivaine Paola Mastrocola dans La Stampa. “Personne n’a idée de l’étendue de liberté qui s’ouvre dans une salle pendant un cours, dit-elle. Dans l’esprit de celui qui parle et dans l’esprit de celui qui écoute. Tout est imprévisible et inopiné. C’est de la fortuité pure.”
Ce que nos sociétés vont avoir à décider désormais, c’est si elles veulent investir dans l’humain (plus de profs, d’infirmières) ou privilégier la technologie (au risque de multiplier les cas de décrochage à l’école, par exemple, mais aussi de menacer encore un peu plus notre vie privée). Car elles ne feront sans doute pas les deux. Surtout, c’est l’encadrement de ces nouveaux usages qui préoccupe Naomi Klein. “La technologie jouera très certainement un rôle de tout premier plan dans la protection de la santé publique dans les mois et les années à venir, reconnaît-elle. La question est de savoir si cette technologie sera soumise au contrôle de la démocratie et des citoyens ou si elle sera imposée à la faveur de la frénésie sanitaire ambiante.” Dans un avenir proche, Internet occupera forcément une place croissante dans nos vies. Plutôt que d’en laisser le contrôle exclusif aux Gafam, “ne faut-il pas le considérer comme un service public à but non lucratif ?” s’interroge Naomi Klein. C’est tout le débat.
https://www.courrierinternational.com/article/la-une-de-lhebdo-le-numerique-tout-puissant
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