Theodore
Zeldin est l’auteur d’«Histoire des passions françaises». Il a ouvert
jeudi soir la «La Nuit des idées» organisée par l’Institut français de
Londres.
LE FIGARO. - Comment expliquez-vous ce désamour d’une grande partie des Britanniques envers l’Europe?
Theodore ZELDIN. -
Quand Margaret Thatcher est arrivée au pouvoir, elle a donné aux gens
l’impression qu’elle les libérait de la pauvreté, de la récession, que
la Grande-Bretagne redevenait un grand pays, lavé des humiliations. Et
le taux de gens favorables à l’Europe a grimpé à 77 % parce que les gens
avaient l’espoir d’une vie meilleure et que l’Europe offrait des
perspectives aux jeunes. Aujourd’hui, l’atmosphère est différente.
Beaucoup de Britanniques sont dans un état de pauvreté économique et
culturelle. Le vote sur le Brexit de 2016, c’est cela: «Personne ne nous
écoute, alors on va décider de nous-mêmes. On ne sait pas vraiment ce
que l’on va décider mais c’est nous qui le déciderons…»
Quelle est la responsabilité de l’Union dans ce fossé?
Ce
qui a été crucial, c’est le pouvoir des fonctionnaires de Bruxelles.
Quand ils ont décidé que les Britanniques devaient utiliser le système
métrique et oublier les unités de mesure impériales, par exemple, cela a
été ressenti comme une insulte. Du jour au lendemain, on disait à celui
qui - comme son père et son grand-père - se servait de ce système,
qu’il était stupide. Les bureaucrates n’ont pas compris que les
individus ont des raisons fortes de se comporter de manière spécifique.
On ne peut pas gouverner un large éventail de pays uniquement par des
règlements. Pour porter un projet politique et économique, il faut
susciter de l’amour, de l’émotion. Les nations le savent bien, c’est
comme cela qu’elles se sont construites. Et l’Europe ne sait pas ce
qu’est l’amour. Tous ses aménagements ont été faits par des juristes.
Les Britanniques ne connaissaient pas ces fonctionnaires européens, qui
ne leur demandaient pas leur avis. Alors, ils les ont chassés. Sans se
rendre compte que les fonctionnaires de Londres ne les écoutent pas
plus…
Est-ce une remise en cause des «élites»?
En
Grande-Bretagne, nous avons inventé le système parlementaire mais en
étant très habiles. On a donné le droit de vote aux classes moyennes
mais avec cette astuce: «Vous allez voter mais nous restons au pouvoir».
La grande majorité des ministres sont d’anciens financiers.
L’aristocratie britannique, à la différence de l’aristocratie française,
a su cacher son intelligence au lieu de la proclamer. Et elle a pu
rester aux commandes. En théorie, les gens du nord de l’Angleterre
devraient avoir de la haine pour les «riches» et pourtant ils les
élisent… Notre premier ministre a été éduqué à Eton, ce n’est pas un
homme du peuple.
Le Brexit est-il le reflet d’une crise démocratique en Europe?
Toutes
les démocraties en Europe sont en crise car la politique est en retard
sur les autres «sciences». En médecine, la génétique a fait des progrès
considérables et l’on individualise les traitements car les mêmes
médicaments ne conviennent pas à tout le monde. Et bien, c’est pareil en
politique, la même démocratie ne peut convenir à tout le monde. Il faut
découvrir ce que chacun a dans la tête, tenir compte de son passé, de
son inconscient. On ne peut avoir un lien avec quelqu’un que l’on ne
connaît pas
Cette crise en préfigure-t-elle d’autres?
Ce
que nous vivons n’est pas une simple crise britannique mais une crise
de civilisation. Nous sortons d’une ère de 300 ans où l’on se croyait
irrémédiablement en marche vers le progrès et la prospérité. Or tout ce
que l’on a fait durant trois siècles, qu’il s’agisse de la révolution
agricole et industrielle, de l’urbanisation, ne fonctionne plus. On tue
la terre, on empoisonne la mer, on pollue l’air. La «glorieuse
expansion» a finalement produit de la destruction et la technologie est
incapable de résoudre les problèmes que l’on a créés. Nous ne devons pas
nous lamenter sur cette catastrophe stupide du Brexit, mais cette crise
doit nous provoquer, nous stimuler. Il faut aussi comprendre que l’état
d’esprit des peuples a changé. Avant les gens acceptaient d’être
obéissants, conformistes, de copier ceux qu’ils imaginaient être mieux
qu’eux. Aujourd’hui, on n’obéit plus aveuglément au seigneur sous
prétexte qu’il vous protège. Désormais, on veut être écouté, apprécié,
en dépit de nos faiblesses et de nos fautes.
Pour moi, le BREXIT n'est qu'un épisode de la longue histoire de l'Europe, dans l'état des choses du monde d'aujourd'hui. Une longue histoire d'amitié et de rivalité entre l'Angleterre et la France, entre la France et la Germanie (Prusse, Autriche,), et de l'héritage de l'empire romain. Depuis plus de 1000 ans, par dirigeants et les institutions qu'ils se sont donnés, les peuples et les nations n'ont cessé de s'affronter par des guerres. L'Angleterre n'avait pas accepté la révolution française (cf. Edmund Burke) et s'était opposée à tentative de suprématie française. Cela se termina par Waterloo, Saint Hélène, le traité de Paris et le Congrès de Vienne en 1815.
RépondreSupprimerAu cours du 19e siècle avec la révolution industrielle, il y eut le traité Cobden le Chevallier puis l'entente cordiale et la paix jusqu'en 1914... Puis la guerre 1914-1918 qui ensanglanta toute l'Europe. En 1940 il y eut la proposition anglaise de former un seul gouvernement pour faire face à l'Allemagne nazie. La France vaincue en mai 1940 préféra se soumettre aux conditions allemandes, permettant leur vengeance après leur propre défaite et humiliation lors du traité de Versailles du 28/6/1919. On connut alors le régime honni de Vichy et le génocide des juifs, l'allégeance du parti communiste à l'Union Soviétique. La France, heureusement, eut Charles de Gaulle pour sauver son honneur, conserver son rang de grande puissance aux cotés des alliés qui avaient combattu l'Allemagne nazie.
L'Europe s'est construite à partir de la réconciliation franco-allemande pour que les deux guerres de 1914-1918 et 1939-1945 ne se reproduisent pas. C'est là l'essentiel.
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