Depuis
plusieurs décennies, la natalité recule dans de nombreux pays. Cette
journaliste spécialisée dans les questions de genre et de reproduction
analyse ce phénomène pour le New York Times et souligne que, si
la baisse de la natalité traduit d’abord un progrès, elle témoigne
aussi d’une faillite du capitalisme moderne, avec ses inégalités
croissantes, son individualisme et son incapacité à régler
la crise climatique.
courrierinternational.com par Anna Louie Sussman
À
l’automne 2015, des affiches ont fleuri un peu partout dans Copenhague.
Sur l’une, des œufs de poule sur fond blanc, et cette question, en
lettres roses : “Avez-vous compté vos ovocytes aujourd’hui ?” Une autre, sur image bleue de spermatozoïdes vus au microscope, demandait : “Sont-ils bons nageurs ?”
Cette opération, qui faisait partie d’une vaste campagne lancée par la municipalité pour rappeler aux jeunes Danois la loi silencieuse de leur horloge biologique, n’a pas fait l’unanimité. Pour certains, c’était comparer les femmes à des animaux d’élevage.
Pourtant, s’il est un pays où les maternités devraient déborder, c’est bien le Danemark. C’est l’un des pays les plus riches d’Europe, et les jeunes parents y bénéficient d’un congé parental rémunéré de douze mois et de formules d’accueil des tout-petits généreusement subventionnées. L’État finance la fécondation in vitro pour les femmes de moins de 40 ans. Or le taux de fécondité danois [voir lexique ci-contre], à 1,7 enfant par femme, est semblable à celui des États-Unis. Une sorte de malaise reproductif pèse aujourd’hui sur ce pays du bonheur.
Le recul des naissances est une conséquence bien connue du développement économique et n’est pas nécessairement une mauvaise chose. C’est en effet le reflet d’une meilleure éducation et d’un meilleur accès au monde du travail pour les femmes, d’une plus grande liberté de choix en matière de procréation, et de la hausse du niveau de vie.
Mais toute médaille a son revers, et la dénatalité témoigne aussi dans certains cas d’une faillite multiple, causée par l’échec des employeurs et des États, incapables de rendre compatibles travail et vie de famille, par notre impuissance collective à trouver à la crise climatique des solutions qui fassent du fait de donner la vie un projet rationnel, et par une économie mondiale marquée par des inégalités croissantes. De ce point de vue, faire moins d’enfants découle moins d’un choix individuel que d’une contrainte due à un ensemble de circonstances défavorables.
À cette question, il y a autant de réponses que d’individus. À l’échelle nationale, ce que certains démographes appellent l’“underachieving fertility” [qu’on pourrait traduire par “sous-performance reproductive”] trouve des explications variées, de l’absence criante d’aides aux familles aux États-Unis aux inégalités femmes-hommes en Corée du Sud, en passant par le fort taux de chômage des jeunes en Europe du Sud. L’état de la natalité soulève des inquiétudes en matière d’équilibre des finances publiques et de stabilité de la population active et, dans certains cas, vient même alimenter la montée de la xénophobie.
Le capitalisme mondial tel que nous le pratiquons aujourd’hui (et auquel peu de pays, et d’individus, peuvent se soustraire) se traduit par un niveau de richesse exorbitant pour quelques-uns, et une immense précarité pour beaucoup. Ces conditions économiques créent un contexte social défavorable à la constitution d’une famille : notre temps de travail s’allonge tandis que notre rémunération baisse. Or, face à la loi de la jungle qui prévaut de plus en plus dans nos économies, les parents sont enjoints d’offrir à leur enfant une présence attentive et une scolarité onéreuse, ce qui alimente l’angoisse des aspirants à la parentalité.
À ces dynamiques socio-économiques vient s’ajouter une dégradation de notre environnement qui n’incite guère à faire naître un enfant : tandis que produits toxiques et polluants s’insinuent dans notre organisme en y favorisant des troubles endocriniens, il semble que pas un jour ne passe sans qu’une région de notre planète ne devienne la proie des flammes ou d’inondations.
Cette opération, qui faisait partie d’une vaste campagne lancée par la municipalité pour rappeler aux jeunes Danois la loi silencieuse de leur horloge biologique, n’a pas fait l’unanimité. Pour certains, c’était comparer les femmes à des animaux d’élevage.
Pourtant, s’il est un pays où les maternités devraient déborder, c’est bien le Danemark. C’est l’un des pays les plus riches d’Europe, et les jeunes parents y bénéficient d’un congé parental rémunéré de douze mois et de formules d’accueil des tout-petits généreusement subventionnées. L’État finance la fécondation in vitro pour les femmes de moins de 40 ans. Or le taux de fécondité danois [voir lexique ci-contre], à 1,7 enfant par femme, est semblable à celui des États-Unis. Une sorte de malaise reproductif pèse aujourd’hui sur ce pays du bonheur.
Faillite multiple
Et les Danois ne sont pas un cas isolé. Partout, depuis plusieurs décennies, le taux de fécondité dégringole : dans les pays à revenu intermédiaire, dans certains pays pauvres, mais aussi, et de façon particulièrement marquée, dans les pays riches.Le recul des naissances est une conséquence bien connue du développement économique et n’est pas nécessairement une mauvaise chose. C’est en effet le reflet d’une meilleure éducation et d’un meilleur accès au monde du travail pour les femmes, d’une plus grande liberté de choix en matière de procréation, et de la hausse du niveau de vie.
Mais toute médaille a son revers, et la dénatalité témoigne aussi dans certains cas d’une faillite multiple, causée par l’échec des employeurs et des États, incapables de rendre compatibles travail et vie de famille, par notre impuissance collective à trouver à la crise climatique des solutions qui fassent du fait de donner la vie un projet rationnel, et par une économie mondiale marquée par des inégalités croissantes. De ce point de vue, faire moins d’enfants découle moins d’un choix individuel que d’une contrainte due à un ensemble de circonstances défavorables.
Finances publiques et xénophobie
Depuis plusieurs décennies maintenant, les enquêtes montrent une prédilection croissante des individus pour des familles moins nombreuses. Mais elles révèlent aussi, dans nombre de pays, que le taux de fécondité a chuté bien en deçà du nombre d’enfants idéal. Aux États-Unis, jamais depuis quarante ans l’écart entre le nombre d’enfants souhaité et le nombre de naissances n’a été aussi grand. Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) conduit dans 28 pays en 2016, les femmes aspiraient en moyenne à avoir 2,3 enfants et les hommes 2,2. Dans bien des pays, on est loin du compte. Quelque chose nous empêche donc de fonder une famille selon nos vœux. Mais quoi ?À cette question, il y a autant de réponses que d’individus. À l’échelle nationale, ce que certains démographes appellent l’“underachieving fertility” [qu’on pourrait traduire par “sous-performance reproductive”] trouve des explications variées, de l’absence criante d’aides aux familles aux États-Unis aux inégalités femmes-hommes en Corée du Sud, en passant par le fort taux de chômage des jeunes en Europe du Sud. L’état de la natalité soulève des inquiétudes en matière d’équilibre des finances publiques et de stabilité de la population active et, dans certains cas, vient même alimenter la montée de la xénophobie.
Travailler plus pour gagner moins
Mais avec ces constats, on ne regarde le phénomène que par le petit bout de la lorgnette.Le capitalisme mondial tel que nous le pratiquons aujourd’hui (et auquel peu de pays, et d’individus, peuvent se soustraire) se traduit par un niveau de richesse exorbitant pour quelques-uns, et une immense précarité pour beaucoup. Ces conditions économiques créent un contexte social défavorable à la constitution d’une famille : notre temps de travail s’allonge tandis que notre rémunération baisse. Or, face à la loi de la jungle qui prévaut de plus en plus dans nos économies, les parents sont enjoints d’offrir à leur enfant une présence attentive et une scolarité onéreuse, ce qui alimente l’angoisse des aspirants à la parentalité.
À ces dynamiques socio-économiques vient s’ajouter une dégradation de notre environnement qui n’incite guère à faire naître un enfant : tandis que produits toxiques et polluants s’insinuent dans notre organisme en y favorisant des troubles endocriniens, il semble que pas un jour ne passe sans qu’une région de notre planète ne devienne la proie des flammes ou d’inondations.
courrierinternational.com par Anna Louie Sussman
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