lefigaro.fr par Paul Sugy
Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne. Il est rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire. Il a publié Le coup de com’ permanent (éd. du Cerf, 2018) dans lequel il détaille les stratégies de communication d’Emmanuel Macron, ainsi que La Fin de la com’ (éd. du Cerf, 2017).
FIGAROVOX.- Que retenir de cette séquence de crise? Benjamin Griveaux avait-il d’autre choix que de se retirer?
Arnaud BENEDETTI.-
Il était confronté à deux options: l’indignation ou la contrition, à
l’américaine. Il a choisi une voie intermédiaire dans l’immédiat: une
forme d’indignation quant aux attaques sur sa vie privée, mais en se
retirant il accrédite la véracité de la vidéo et du comportement
inapproprié qui a été révélé. Sa campagne déjà lourdement «plombée» par
de mauvais sondages ne lui permettait pas de tenir. Ce retrait
sacrificiel vise d’abord à préserver la marque «En Marche». Comme aux
échecs, il faut savoir perdre une pièce. On imagine que les hautes
instances de la majorité ne lui ont peut-être pas laissé d’autre choix .
Le retrait de sa candidature lui permet donc une sortie par le haut?
Au
regard des faits, sa campagne eut été encore plus inaudible qu’elle ne
l’était déjà s’il ne s’était pas retiré. Comment poursuivre alors que le
sérieux que l’on attend d’un candidat était à ce point entamé par une
vidéo aussi destructrice pour l’image? Même si l’esprit français
s’accommode des marivaudages, il y a un moment où la cohérence s’impose.
Vous ne pouvez pas mettre en avant votre vie familiale et par ailleurs
être confronté à un démenti de celle-ci par des comportements
susceptibles de briser le portrait idyllique que vous en donnez.
D’autant plus quand vous essayez de conquérir aussi un électorat
conservateur, ce qui était le cas.
Le
procédé n’en est pas moins infâme, et il doit être dénoncé! Mais il est
hélas redoutablement efficace dans sa capacité destructrice car ces
échanges de messages qui ont été révélés, si les faits sont avérés,
dénotent d’une imprudence immature au regard de ce que l’on attend de la
responsabilité d’un dirigeant.
Toute sa campagne était polluée par un halo de mauvaises impressions.
Au
plan de la communication politique, les efforts de Benjamin Griveaux
pour paraître original depuis le début de la campagne se sont souvent
retournés contre lui...
Le
principal adversaire de Benjamin Griveaux, c’était lui-même. Il porte
des aspérités, à tort ou à raison, liées notamment à son passé de
porte-parole du gouvernement qui infectait son image. Toute sa campagne
était polluée par un halo de mauvaises impressions. Il s’est efforcé de
casser cette réputation par une com’ surjouée et des propositions
parfois disproportionnées (le déménagement de la Gare de l’Est, les 100
000 euros pour acquérir un logement...). Plus les communicants prenaient
le pouvoir dans sa campagne et plus celle-ci se transformait en
entreprise désespérée de sauvetage. Le pathétique l’a emporté. C’est
cruel pour le candidat, mais c’est encore plus terrible pour les
professionnels de la com’ qui ont montré là qu’ils étaient les artisans,
voire les accélérateurs d’une débâcle annoncée.
» À voir aussi - Retrait de Griveaux: Philippe «respecte» sa décision
Retrait de Griveaux: Philippe «respecte» sa décision - Regarder sur Figaro Live
Quel sera l’impact de cette curieuse séquence sur la poursuite de la campagne?
Politiquement,
à l’heure où je vous réponds, la question qui se pose est de savoir qui
va mener les marcheurs à Paris, ville qui sociologiquement leur était
acquise. L’accident Griveaux met en relief par ailleurs la mauvaise
préparation du parti majoritaire qui avait pourtant deux ans pour
élaborer une stratégie en vue de l’élection municipale.
L’amateurisme revendiqué par Emmanuel Macron se retourne contre son propre camp.
L’amateurisme revendiqué par le Président de la République lors de son adresse aux parlementaires de sa majorité
se retourne de manière spectaculaire contre son propre camp. Il n’y a
pas de fraîcheur ou d’innocence en politique, laquelle reste comme
l’écrivait Weber, une affaire de professionnels. A posteriori, le
limogeage de Villani apparaît comme une faute tactique lourde de
conséquences. Un politique chevronné aurait laissé décanter la situation
jusqu’au soir du premier tour. Dans tous les cas de figure, les cartes
sont inévitablement redistribuées, avec un potentiel appel d’air pour
Rachida Dati car l’électorat de Griveaux contenait une composante de
centre-droit, opposé à la social-écologie, sera peut-être tenté de
revenir, dans cette séquence de hautes turbulences , dans la «vieille
maison» républicaine .
Et sur le rapport des Français avec le monde politique?
C’est une rupture! C’est la victoire de l’underground
des réseaux sociaux sur la com’, une illustration supplémentaire de ce
que j’ai appelé «la fin de la com». Il n’a pas fallu une nuit pour que
le prurit numérique atteigne les médias traditionnels. Il va de soi que
cela ne va pas dans le sens d’un renforcement de la confiance dans le
politique. Dans une société socialement éreintée, le comportement
personnel des dirigeants est un facteur-clé d’apaisement des crises.
Nous vivons des secousses sismiques permanentes qui érodent toujours
plus la légitimité des dirigeants. Lorsque la vie privée de l’homme
public devient objet de polémiques, cela traduit un effondrement de la
qualité du débat public - c’est un fait, notamment dans un pays dont
l’honneur était, contrairement aux Anglo-saxons, de respecter cette
frontière. Mais encore faut-il se poser la question: pourquoi en
sommes-nous arrivés là?
Source Figaro Vox
Et autre article par l'OBS.
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