23/11/2019

Patrick Buisson : « Macron, c'est la troisième mi-temps du mandat Sarkozy


 
Il a souri. C'était léger., mais suffisamment rare pour être souligné. Lui, l'homme de l'ombre, si discret, si sérieux, si austère, a esquissé un rictus d'étonnement. Il nous a demandé confirmation : « Est-ce bien… ? » Après deux heures d'une discussion dense et exigeante sur l'état de la politique française en général et de l'extrême droite en particulier, Patrick Buisson nous a raccompagnés vers la sortie d'un grand hôtel parisien.... Puis il a vu Alexandre Benalla, affalé sur une banquette, donnant, faraud, une miniconférence à un auditoire conquis, le jour où sortait son livre. Deux âmes damnées de présidents de la République au même endroit, au même moment. Cocasse. Après avoir annoncé qu'Emmanuel Macron risquait gros, que Marine Le Pen se relevait, que Les Républicains n'existaient plus et que Jean-Luc Mélenchon finirait seul, Patrick Buisson a remis son chapeau et annoncé que ça allait « mal finir » pour l'ex-chargé de mission de l'Elysée, pourtant jugé « malin ». Cette fois, il n'a pas souri§
Le Point : La politique française est-elle enfermée dans un duel entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron ?
Patrick Buisson : Une élection présidentielle, c'est la construction d'un agenda politique appuyée par une vaste ingénierie de formatage de l'opinion qui s'apparente à du concassage mental. Il s'agit de transformer le scénario souhaité par une minorité en scénario souhaitable au regard du plus grand nombre. Le duel Macron-Le Pen était jusqu'ici le scénario souhaité parce qu'on l'estimait sans risques, dussent les médias souffrir d'une narration sans suspens et dépourvue de dramaturgie. Sauf qu'aujourd'hui, et à la surprise quasi générale, l'hypothèse d'une victoire de Marine Le Pen ne peut plus être exclue. La dernière enquête de l'Ifop lui accorde 45 % des intentions de vote, alors qu'aucune étude ne l'avait donnée à plus de 41 % dans l'entre-deux-tours de 2017. Rappelons que Macron l'a emporté avec un écart de plus de 10 millions de voix et de 32 points. Si l'on en croit l'Ifop, l'écart ne serait plus que de 10 points, soit, à niveau équivalent de suffrages exprimés, un peu plus de 3 millions de voix. Pour annuler cet avantage, il faudrait un déplacement d'un million et demi de suffrages. Autrement dit, une mini-secousse à l'échelle de la géomorphologie électorale.
Marine Le Pen est encore loin du compte…
Il faut inclure l'effet de seuil, qui est d'ordre psychologique. A 40 %, la candidature Le Pen n'intéresse personne, à 45 %, elle suscite des interrogations, à 47 %, elle mettrait en mouvement l'immense armée des ambitieux et des habiles, des carriéristes et des opportunistes. Et c'est là que tout devient possible.
Selon vous, Marine Le Pen a-t-elle les capacités d'être élue ?
Les qualités requises pour conquérir le pouvoir ne suffisent pas pour l'exercer, disait en substance Chateaubriand. A leur manière, et chacun dans un registre différent, Giscard, Chirac, Sarkozy et Hollande en ont fait la démonstration. Force est de constater que les obstacles objectifs à l'élection de Marine Le Pen sont désormais largement exogènes. Il y a, d'une part, les menaces que ferait peser cette élection sur la paix civile, la crainte de mouvements de rue, plus d'ailleurs du côté de l'extrême gauche que de la communauté musulmane, et, d'autre part, l'interrogation persistante sur les ressources politiques et humaines nécessaires à l'exercice du pouvoir ; interrogation d'autant plus légitime que le Rassemblement national n'a aucune culture de gouvernement.
L'émergence d'une autre personnalité est-elle envisageable ?
Quand on compare le potentiel idéologique du RN, qui rassemble deux Français sur trois sur les questions de la sécurité, de l'immigration, de l'attitude à l'égard de l'islam ou encore sur ce qu'on appelle plus généralement les valeurs, et son point de culmination électoral, qui n'a jusqu'ici jamais dépassé un tiers des votants, on se dit que le patronyme de Le Pen n'est sans doute pas étranger à cette distorsion. Un candidat, ou une candidate, non issu du RN mais soutenu par lui ne se heurterait pas au même plafond de verre. Il aurait, à n'en pas douter, toutes les chances de battre Macron en 2022.
Marion Maréchal est aujourd'hui hors jeu. Comment avez-vous perçu la convention de la droite ?
Comme un contre-sens doublé d'un contre-temps. La politique n'est pas un jamboree, donc n'est pas une affaire de boy-scouts. Marion Maréchal ne peut s'en prendre qu'à ceux qui l'ont poussée vers cette impasse. Il y a une droite, parfaitement décrite autrefois par Guy Mollet, qui présente la particularité d'être à la fois idéolowgiquement fossile et politiquement invertébrée. Nous voilà rassurés quant à sa postérité. Mme Maréchal est en train d'apprendre à ses dépens qu'on ne conserve dans la durée une surface médiatique que si celle-ci est gagée par une encaisse électorale. Bref, pour faire de la politique, il faut se présenter aux élections, et ne pas confondre engagement civique et tournée de promotion.
Pourtant, vous avez été l'un des plus fervents défenseurs de l'union des droites. Désormais, vous prônez une stratégie populiste. L'entourage de Marion Maréchal a dit que vous faisiez du Philippot avec dix ans de retard…
C'est bien aimable à eux, qui font du Buisson avec un retard qui n'est pas de dix, mais de trente ans. Si c'est un hommage qu'ils veulent me rendre, je n'y suis pas sensible. J'ai longtemps plaidé pour une union des droites à l'époque où les droites étaient miscibles et électoralement majoritaires. Tout cela a changé et il faut beaucoup de paresse intellectuelle pour ne pas s'en être aperçu. La convergence entre conservatisme, libéralisme et populisme est devenue aussi impensable qu'impossible. De surcroît, « le danger d'une erreur, selon Pascal, c'est la part de vérité qu'elle contient ». L'union des droites est une condition nécessaire mais nullement suffisante pour servir d'axe stratégique à une reconquête du pouvoir. En y faisant arbitrairement entrer la totalité de l'électorat RN, les droites n'ont recueilli, lors des dernières élections européennes, que 36 % des suffrages, soit moins d'un Français sur cinq si on se rapporte à l'ensemble du corps électoral. Au premier tour de la présidentielle de 1995, les droites, de Balladur à Le Pen, rassemblaient près de 60 % des votants. Par ailleurs, la mouvance autour de Marion Maréchal aurait été bien avisée de méditer cette loi intangible de la gravitation politique qui veut que toute tentative émanant du lepénisme - et il y en a déjà eu un certain nombre - pour établir des passerelles avec la droite de gouvernement s'achève toujours à la droite de l'extrême droite. Comme s'il y avait une pente fatale du frontisme au maréchalisme.
Pour Emmanuelle Mignon, que vous avez bien connue lorsque vous étiez tous deux conseillers de Nicolas Sarkozy, désormais, la droite, c'est Macron.
Elle a entièrement raison. Après avoir digéré la gauche post-sociale en 2017, Macron s'est mis habilement en situation d'absorber la droite post-nationale. On ne voit pas qui sur le marché politique pourrait porter une offre libérale plus cohérente et plus attractive que la sienne. Sur ce point, il faut lire le livre de Jérôme Sainte-Marie « Bloc contre bloc » pour être édifié. En invitant la droite à renoncer aux combats sociétaux d'arrière-garde, à vivre en quelque sorte avec son temps, Emmanuelle Mignon surmonte l'incohérence idéologique qu'il y avait à vouloir faire cohabiter libéralisme et conservatisme. Pour elle comme pour tous les libéraux conséquents, le libéralisme est un fait total, ce qui veut dire totalement insécable.
L'avenir des Républicains est il compromis ?
Les droites qui ont gardé ou reconquis le pouvoir n'ont pu le faire qu'au prix d'une véritable révolution culturelle. Elles ont cessé de se comporter en syndic des classes favorisées pour se faire les défenseuses des catégories populaires. Trump a été élu par la Rust Belt et les ouvriers des régions industrielles sinistrées. Boris Johnson, en se faisant le héraut du Brexit, a refondé les bases sociologiques des torys. Sarkozy aurait pu être, en France, l'homme de cette révolution. Ce fut, au contraire, le formidable gâchis que l'on sait. Le drame de Sarkozy est de croire que les idées sont un costume de location qu'il suffit d'enfiler le jour du vote et dont on peut se défaire sans dommages dès le lendemain.
Que pensez-vous de l'entretien de Macron à « Valeurs actuelles », journal que vous avez dirigé ?
C'est un coup perdant-perdant des deux côtés. A l'Elysée, quand les choses vont mal, il y a toujours un conseiller pour proposer au président d'aller jouer les coucous dans le nid des adversaires ou supposés tels. C'est généralement le plus bête et le moins créatif. Résultat : on irrite son propre électorat sans convaincre celui qu'on cherche à séduire. Je crois que ce faux entretien non assumé, puisque présenté sous forme de confidences, aura entraîné plus d'abstentions et de bulletins nuls chez les électeurs de gauche dans le cas d'un duel Macron-Le Pen qu'il n'aura suscité d'adhésions à droite. S'agissant de « Valeurs actuelles », je ne doute pas qu'un certain nombre de ses lecteurs puissent être en 2022 des électeurs de Macron, mais ce dont je suis sûr également, c'est qu'au-delà d'un éphémère succès commercial de curiosité la masse du lectorat n'achète pas ce journal pour y retrouver ce que les médias dominants offrent gratuitement à longueur de journées.
Le discours du président sur l'immigration est-il convaincant ?
En matière d'immigration, Macron s'inscrit dans la continuité de tous les présidents de droite de la Ve depuis Giscard. Ce qu'il fait ne relève pas de la politique de l'oxymore, mais de la schizophrénie. Un mélange de propos incantatoires et d'actes contradictoires. Vouloir réguler l'immigration économique quarante-cinq ans après que Giscard a annoncé qu'il allait la tarir ne donne pas vraiment confiance dans la capacité des politiques à contrôler le destin de la France et des Français. Enfin, il est absurde de poser le problème en ces termes lorsque le taux de chômage de la population immigrée atteint 24 %. On a parlé depuis la rentrée d'un passage à l'acte II du quinquennat Macron. Moi, j'y vois plutôt la troisième mi-temps du mandat Sarkozy.
Pour vous, existe-t-il un mimétisme ?
C'est frappant. Dans les mots, d'abord. Sarkozy se réclamait d'une politique « juste » et « ferme » à propos de l'immigration. Macron se veut « humain » et « impitoyable ». Dans la méthode, ensuite. Pour traiter cette question sensible, Sarkozy n'avait rien trouvé de mieux que d'organiser un grand débat national. Je lui avais dit à l'époque qu'il était le président en exercice, qu'il avait été élu pour agir, pas pour organiser des débats. Macron s'est largement inspiré de la formule, mais comme technique de défausse et en excluant l'immigration du champ du débat. Les deux hommes se révèlent être des adeptes de la même construction performative selon laquelle parler, c'est agir, dire, c'est faire ou du moins faire croire…
Que vous inspire cet énième long débat sur le voile ?
Macron nous raconte la vieille fable selon laquelle quoi le voile signifierait l'échec de notre modèle économique d'intégration. Je pense, au contraire, qu'il s'agit là d'une erreur d'analyse majeure, propre d'ailleurs à la quasi-totalité de la classe politique. Le voile, c'est d'abord et avant tout l'échec de notre modèle politique et civilisationnel. Dans la France des années 1960, l'intégration ne posait pas de problèmes insurmontables. Aujourd'hui, les musulmans sont habités par deux complexes explosifs et contradictoires : un complexe d'infériorité en termes de puissance et un complexe de supériorité civilisationnelle à l'égard de notre athéocratie, de notre société, qu'ils jugent décadente et apostate. Ils se sentent agressés dans leur être de croyant et dans leur identité profonde par nos lois et par nos mœurs. Et cela est pour beaucoup dans le processus de radicalisation en cours.
La laïcité peut-elle être un outil d'intégration ?
Ortega y Gasset disait qu'il y a des mots qui ne sont que les fantômes rhétoriques de choses mortes. C'est le cas des mots comme laïcité, république, vivre ensemble. D'où un quiproquo fondamental. La notion de laïcité est intransposable dans l'islam. Pour la bonne raison qu'être pleinement musulman, c'est accepter la subordination du temporel au spirituel. Idem en ce qui concerne la République : une république sans chose commune qui ne propose de partager ni croyance ni projet collectif se réduit à une république des individus incapable de prendre en charge le besoin d'absolu qui existe à des degrés divers dans chaque personne. « On n'habite pas une séparation », dit justement Pierre Manent.
Une fois de plus, à juxtaposer, vous généralisez. Les musulmans sont majoritairement bien intégrés.
Vous vous trompez. La majorité des musulmans est attentiste comme elle l'était au temps de la guerre d'Algérie. Elle basculera en fonction de l'évolution du rapport de forces entre l'Etat français et l'islamisme. Il faut en finir avec cette balançoire : les musulmans croyants n'ont aucune envie de s'intégrer dans une société qu'ils méprisent. La seule intégration possible, c'est celle qui fonctionne en sens inverse. A savoir les « accommodements raisonnables » qui consistent à modifier nos habitudes pour faciliter l'inclusion de cultures nouvelles sur le territoire national, à juxtaposer les identités préservées avec la non-identité française.
Avez vous approuvé le discours d'Eric Zemmour à la convention de la droite ?
L'amitié que j'ai pour Eric n'empêche pas les désaccords. Son discours m'a paru hors sujet tant son propos sur l'islam éclipsait tout le reste. Or la question politique centrale n'est pas celle de l'islam, mais celle de l'immigration, qui est source d'insécurité et d'anomie. Pour maîtriser l'islam, il faut inverser les flux migratoires. L'Etat français pourra être d'autant plus libéral et tolérant envers l'islam que les musulmans seront moins nombreux. Soit le contraire de ce qu'ont fait les politiques en facilitant les vagues migratoires et qui veulent aujourd'hui interdire aux immigrés qu'ils ont fait venir d'être ce qu'ils sont, réglementer leurs pratiques et réformer leurs mœurs. Essentialiser l'islam comme le mal absolu, c'est relativiser la responsabilité des politiques qui, depuis quarante ans, ont rivalisé de lâcheté, d'impuissance ou de complicité sur la question de l'immigration. Essentialiser l'islam comme le responsable de tous nos maux, c'est faire oublier qu'il se nourrit de notre matérialisme et de nos faiblesses, qu'il y a une relation directe entre le nihilisme des sociétés occidentales et le succès de l'islam comme producteur de normes et d'interdits. Chaque période de dérégulation a été suivie, dans notre histoire, d'une demande d'ordre et de reprise en main. Veillons à ce que l'islam ne soit pas le mieux placé pour y répondre.
Comment jugez-vous l'évolution de Jean-Luc Mélenchon sur ces questions ? Et sa participation à la manifestation contre l'« islamophobie » ?
Mélenchon a fait le choix du grand remplacement. Il a choisi de faire l'impasse sur environ la moitié de sa base électorale, qui ne partage pas son point de vue sur l'islam, au profit du vote musulman. Ayant perdu la bataille des populismes avec Marine Le Pen, il se repositionne en leader de la gauche multiculturaliste. C'est faire vœu de minorité. Cela n'a plus rien à voir avec le socialiste patriote que j'ai connu et que j'ai beaucoup aidé au temps où j'étais conseiller de Sarkozy à l'Elysée. La troisième candidature à la présidence de la République est parfois la bonne, elle peut être aussi cataclysmique. Demandez à Bayrou !§

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