Ken Follett: «Les cathédrales sont le cœur de notre patrimoine européen»
ENTRETIEN - Le romancier gallois, auteur du best-seller Les Piliers de la Terre, épopée d’un bâtisseur de cathédrales, confie ses sentiments face au drame.
LE FIGARO.- En tant qu’écrivain, comment réagissez-vous à l’incendie de Notre-Dame de Paris? Ken FOLLETT.- Dans mon roman Les Piliers de la Terre,
il y a un chapitre où la cathédrale de Kingsbridge brûle. Pour écrire
cette scène voilà trente ans, j’ai fait des recherches afin de
comprendre comment un incendie se déroule dans une cathédrale. Il faut
qu’il débute dans le toit car c’est là qu’il y a du bois, alors que le
reste du bâtiment est en pierre. Normalement, la charpente une fois
détruite, la couche de plomb située dans le toit fond, et fait
s’écrouler la voûte qui est constituée de pierres plus fines. Des
centaines de tonnes de débris tombent dans l’église, ce qui peut faire
s’écrouler les tours. Une grande église, c’est comme une toile
d’araignée. Les éléments se soutiennent les uns les autres, normalement,
quand l’un s’écroule, tout s’écroule.
«Je me suis réveillé mardi matin
rassuré, et pour tout dire, étonné, que les murs de Notre-Dame de Paris
soient restés debout. Les bâtisseurs du Moyen-Âge étaient des maîtres!»
Lundi soir, je me suis couché en me disant que mardi matin, il n’y
aurait plus rien de Notre-Dame de Paris. Heureusement, ça n’est pas
arrivé. Je me suis réveillé rassuré, et pour tout dire, étonné, que les
murs soient restés debout. Les piliers de la terre ont tenu bon! Surtout
les arcs-boutants est de l’église ont tenu, ce qui me plaît beaucoup,
car l’église est tout particulièrement belle quand on la regarde de
l’île Saint-Louis. Les bâtisseurs du Moyen-Âge étaient des maîtres! Quel symbole est Notre-Dame pour l’Europe?
Au Moyen-Âge, Paris n’était que l’île de la Cité, et Notre-Dame était
son centre: c’était le cœur de Paris, c’était Paris. Nos cathédrales
nous connectent avec le passé, elles nous lient à notre histoire. Chaque
jour, lorsqu’on passe devant ces édifices on peut se dire: «ça a été
construit par mes ancêtres, et c’est à moi». Les cathédrales créent
notre sens de l’identité. Tout le peuple européen a senti que quelque
chose mourait hier soir. Au Moyen-Âge, les maçons anglais et français
échangeaient leurs savoirs, se sont déplacés les uns chez les autres
pour partager leurs connaissances. Ainsi le maître maçon de Canterbury
s’appelait Guillaume de Sens (mort en 1180, NDLR). C’est la première
fois que les Français et les Anglais travaillaient ensemble. C’est le
symbole d’un patrimoine commun européen. N’est-il pas affligeant que nous, modernes, ayons été incapables de préserver un patrimoine vieux de huit siècles?
Je ne veux pas critiquer. Moi-même, la dernière fois que je me suis
rendu à Notre-Dame, je ne me suis pas fait de réflexion sur les règles
de sécurité ou les alarmes incendie. Aujourd’hui tous les évêques
d’Europe doivent se réunir pour réfléchir aux mesures à adopter afin que
cela ne se reproduise pas ailleurs. Je crois qu’on peut reconstruire
Notre-Dame. Macron a dit «nous rebâtirons». Ce sont des mots forts, qui
m’ont touché. D’où vous vient votre passion des cathédrales?
Lorsque j’ai commencé à visiter des cathédrales, il y a cinquante
ans, je me suis demandé: pourquoi? Pourquoi tant de démesure? Tant de
temps, tant d’argent consacrés à ces cathédrales! Je me suis interrogé
sur ce qui poussait ces hommes du Moyen-Âge à construire des monuments
dont ils ne verraient pas l’achèvement de leur vivant. J’ai commencé à
lire, à m’intéresser à cette période. Au Moyen-Âge, la cathédrale avait
un rôle religieux bien évidemment, mais pas seulement. C’était aussi un
lieu où l’on enseignait. Il y avait des marchés. Et quand une tempête
advenait, tous les habitants de la ville se réfugiaient à l’abri des
piliers de la cathédrale. Je me suis dit: quel beau sujet pour un roman!
Les maisons d’édition m’ont dit que ça ne marcherait jamais, que les
gens ne s’intéressaient qu’aux romans d’espionnage. Et bien Les Piliers de la Terre fut mon plus beau succès: preuve que les gens aiment les cathédrales. » VOIR AUSSI - Notre-Dame de Paris: «Le patrimoine fait partie de notre vie de tous les jours»
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 17/04/2019.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Ce blog est ouvert à la contradiction par la voie de commentaires. Je tiens ce blog depuis fin 2005. Tout lecteur peut commenter sous email valide et sous anonymat. Tout peut être écrit mais dans le respect de la liberté de penser de chacun et la courtoisie. Je modère les commentaires pour éviter le spam et d'autres entrées malheureuses possibles. Cela peut prendre un certain temps avant que votre commentaire n'apparaisse, surtout si je suis en déplacement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Ce blog est ouvert à la contradiction par la voie de commentaires. Je tiens ce blog depuis fin 2005. Tout lecteur peut commenter sous email valide et sous anonymat. Tout peut être écrit mais dans le respect de la liberté de penser de chacun et la courtoisie. Je modère les commentaires pour éviter le spam et d'autres entrées malheureuses possibles. Cela peut prendre un certain temps avant que votre commentaire n'apparaisse, surtout si je suis en déplacement.