La monnaie moderne c'est le crédit et les comptes bancaires; monnaie scripturale; le bitcoin comme l'or sont des monnaies basées sur la rareté; le bitcoin avec 21 millions d'unités maximum par construction est la version digitale de l'étalon or.
Cet article est publié en libre sur le soir belge.
La
plus connue des cryptomonnaies est certainement un actif hautement
spéculatif. Serait-elle cependant, comme l’affirment ses partisans, la
monnaie du futur ? Les économistes ne sont pas d’accord.
Le
bitcoin, la plus célèbre des cryptomonnaies, fait rêver. Forcément. Sa
valeur a été multipliée par 20 entre janvier et mi-décembre. Cette
envolée a ravivé le souvenir de la « bulle de la tulipe » du XVIIe
siècle. Nos voisins hollandais s’étaient alors pris de passion pour les
bulbes de cette fleur nouvelle et exotique, dont les prix avaient, en
quelques années, atteint des niveaux incroyables, avant de s’effondrer
en quelques semaines, en février 1637.
Et c’est pourquoi Kim Oosterlinck, professeur de finances à l’ULB, refuse de dire que le bitcoin n’aurait aucune valeur intrinsèque : « Les bulles sont souvent été liées à des innovations technologiques, dont il est très malaisé d’évaluer la valeur fondamentale », explique-t-il, citant, notamment, l’engouement des boursicoteurs pour la radio et l’aéronautique à la fin des années 20 du siècle passé ou pour les valeurs dot.com à la fin des années nonante. Et dans le cas du bitcoin ? « Il est probable qu’il s’agisse d’une bulle », confie-t-il. « Le bitcoin est sans aucun doute un actif hautement spéculatif. La plupart des investisseurs qui s’y lancent le font dans l’espoir de revendre plus cher dans le futur », renchérit Eric Dor, directeur des Etudes économiques à l’Ieseg School of Management (Lille et Paris).
Car, au fond, à quoi sert le bitcoin ? À peu de chose, sinon à effectuer des transferts de fonds «discrets» – autrement dit : au blanchiment. Ou à se procurer dans l’anonymat des produits illicites, sur le darknet. N’en déplaise à ses partisans, le bitcoin ne peut jouer aucun des trois rôles traditionnellement attribués à la monnaie par les économistes. « Sa trop grande volatilité le rend impropre à jouer le rôle d’unité de compte ou de réserve de valeur. Voudriez-vous que votre épargne change brutalement de valeur d’un jour à l’autre ? », demande Kim Oosterlinck. Et son usage comme moyen d’échange est très limité. Seuls 3 des 500 premiers sites de vente en ligne au monde acceptent le bitcoin. D’ailleurs, il ne faut pas être docteur en économie pour comprendre qu’une « monnaie » aussi volatile ne pourrait constituer le système d’échange de nos économies.
Pour de nombreux promoteurs du bitcoin, leur rareté relative constituerait au contraire l’atout majeur des cryptomonnaies comme le bitcoin, promettant une forme 2.0 d’étalon-or, qui offrirait une protection contre l’inflation – contre la tentation des États de promouvoir une dépréciation continue de la monnaie en en émettant trop. « Ceux qui aujourd’hui prônent un retour à l’étalon-or oublient la longue période de déflation que nos économies ont connue durant le dernier quart du XIXe siècle, contre-attaque Kim Oosterlinck. Le système monétaire basé sur l’or bridait la croissance, dans la mesure où la production d’or n’était pas suffisante pour “suivre” la demande de monnaie par les agents économiques. »
« Le bitcoin est un objet informatique dont la rareté est inscrite dans les gènes », poursuit Eric Dor, rappelant que le nombre total de bitcoins qui pourront être « minés » est limité à 21 millions (dont environ 16,5 millions sont en circulation). « Son utilisation généralisée comme moyen de paiement aurait donc des conséquences déflationnistes. » Sans doute peut-on imaginer des cryptomonnaies dont l’offre pourrait croître chaque année (au même rythme que la croissance potentielle de l’économie), reconnaît Paul De Grauwe. « Mais ce n’est pas le cas du bitcoin, ce qui le rend particulièrement inadapté comme monnaie de l’avenir. »
À l’époque, il n’y avait pas de banque centrale ; les banques émettaient leurs propres billets, mais, en dehors de l’État dans lequel la banque était installée, ceux-ci s’échangeaient avec une forte décote ; et l’Amérique connut alors de nombreuses crises bancaires. « Seuls les fondamentalistes du marché peuvent y voir un système monétaire souhaitable, renchérit Eric Dor. Les autres reconnaissent la nécessité d’un prêteur en dernier ressort – autrement dit : d’une banque centrale – et d’une politique monétaire. »
« Dans un monde imaginaire où les marchés seraient dotés de propriétés autorégulatrices qui empêchent l’apparition de crises financières, le bitcoin pourrait être un gage de stabilité. Pas dans le monde réel », conclut Paul De Grauwe.
Plus: Article de Paul de Grauwe: Bticoin is not the currency of the future.
Un actif hautement spéculatif
Pour Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014, l’histoire se répète : « Le bitcoin est une pure bulle, un actif sans valeur intrinsèque. Son prix tombera à zéro si la confiance des utilisateurs disparaît », écrivait-il récemment dans le Financial Times. Cela dit, l’économiste français reconnaît que le « blockchain », la technologie qui sous-tend le bitcoin et qui permet de garantir des transactions sans intervention d’une autorité, est « une innovation bienvenue avec des applications utiles » – et donc non dénuée de valeur.Et c’est pourquoi Kim Oosterlinck, professeur de finances à l’ULB, refuse de dire que le bitcoin n’aurait aucune valeur intrinsèque : « Les bulles sont souvent été liées à des innovations technologiques, dont il est très malaisé d’évaluer la valeur fondamentale », explique-t-il, citant, notamment, l’engouement des boursicoteurs pour la radio et l’aéronautique à la fin des années 20 du siècle passé ou pour les valeurs dot.com à la fin des années nonante. Et dans le cas du bitcoin ? « Il est probable qu’il s’agisse d’une bulle », confie-t-il. « Le bitcoin est sans aucun doute un actif hautement spéculatif. La plupart des investisseurs qui s’y lancent le font dans l’espoir de revendre plus cher dans le futur », renchérit Eric Dor, directeur des Etudes économiques à l’Ieseg School of Management (Lille et Paris).
Car, au fond, à quoi sert le bitcoin ? À peu de chose, sinon à effectuer des transferts de fonds «discrets» – autrement dit : au blanchiment. Ou à se procurer dans l’anonymat des produits illicites, sur le darknet. N’en déplaise à ses partisans, le bitcoin ne peut jouer aucun des trois rôles traditionnellement attribués à la monnaie par les économistes. « Sa trop grande volatilité le rend impropre à jouer le rôle d’unité de compte ou de réserve de valeur. Voudriez-vous que votre épargne change brutalement de valeur d’un jour à l’autre ? », demande Kim Oosterlinck. Et son usage comme moyen d’échange est très limité. Seuls 3 des 500 premiers sites de vente en ligne au monde acceptent le bitcoin. D’ailleurs, il ne faut pas être docteur en économie pour comprendre qu’une « monnaie » aussi volatile ne pourrait constituer le système d’échange de nos économies.
L’étalon-or 2.0
« L’espoir d’une poursuite de la hausse du cours du bitcoin tient largement au fait que de nombreuses personnes ont la conviction que les cryptomonnaies sont les monnaies de l’avenir. Il n’y a rien de plus faux. Le bitcoin est une monnaie archaïque, comme l’était l’or, explique Paul De Grauwe, professeur à la London School of Economics. L’or devait être extrait du sol à grand renfort de travail humain et de machines. Il en va de même du bitcoin. Les bitcoins sont fabriqués (“minés”, comme l’on dit par analogie avec l’or) en utilisant de grandes quantités de puissance de calcul – et, partant, de grandes quantités d’énergie. » Pour Paul De Grauwe, aucun doute : la monnaie du futur est la version électronique de notre monnaie-papier.Pour de nombreux promoteurs du bitcoin, leur rareté relative constituerait au contraire l’atout majeur des cryptomonnaies comme le bitcoin, promettant une forme 2.0 d’étalon-or, qui offrirait une protection contre l’inflation – contre la tentation des États de promouvoir une dépréciation continue de la monnaie en en émettant trop. « Ceux qui aujourd’hui prônent un retour à l’étalon-or oublient la longue période de déflation que nos économies ont connue durant le dernier quart du XIXe siècle, contre-attaque Kim Oosterlinck. Le système monétaire basé sur l’or bridait la croissance, dans la mesure où la production d’or n’était pas suffisante pour “suivre” la demande de monnaie par les agents économiques. »
« Le bitcoin est un objet informatique dont la rareté est inscrite dans les gènes », poursuit Eric Dor, rappelant que le nombre total de bitcoins qui pourront être « minés » est limité à 21 millions (dont environ 16,5 millions sont en circulation). « Son utilisation généralisée comme moyen de paiement aurait donc des conséquences déflationnistes. » Sans doute peut-on imaginer des cryptomonnaies dont l’offre pourrait croître chaque année (au même rythme que la croissance potentielle de l’économie), reconnaît Paul De Grauwe. « Mais ce n’est pas le cas du bitcoin, ce qui le rend particulièrement inadapté comme monnaie de l’avenir. »
Un rêve libertarien
D’aucuns, biberonnés à l’idéologie libertarienne, rêvent d’un monde dans lequel une ou plusieurs cryptomonnaies (privées) concurrenceraient, voire détrôneraient les monnaies « officielles » contrôlées par les États et les banques centrales. Une telle utopie fait sourire Kim Oosterlinck. « Un tel système monétaire engendrait des coûts de transaction très élevés, puisqu’avant d’accepter un paiement en une des cryptomonnaies en circulation, il faudrait s’assurer de sa solidité », explique le professeur bruxellois, en référence à l’expérience du free banking aux États-Unis dans le courant du XIXe siècle, entre la fin des années trente et le début des années soixante.À l’époque, il n’y avait pas de banque centrale ; les banques émettaient leurs propres billets, mais, en dehors de l’État dans lequel la banque était installée, ceux-ci s’échangeaient avec une forte décote ; et l’Amérique connut alors de nombreuses crises bancaires. « Seuls les fondamentalistes du marché peuvent y voir un système monétaire souhaitable, renchérit Eric Dor. Les autres reconnaissent la nécessité d’un prêteur en dernier ressort – autrement dit : d’une banque centrale – et d’une politique monétaire. »
« Dans un monde imaginaire où les marchés seraient dotés de propriétés autorégulatrices qui empêchent l’apparition de crises financières, le bitcoin pourrait être un gage de stabilité. Pas dans le monde réel », conclut Paul De Grauwe.
Plus: Article de Paul de Grauwe: Bticoin is not the currency of the future.
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