Alors
que les « Paradise Papers » mettent en lumière les montages financiers
d’optimisation fiscale pratiqués par des multinationales ou des grandes
fortunes, le Secours catholique publie, jeudi 9 novembre, son rapport annuel sur la pauvreté.
Si la situation ne s’aggrave pas, elle ne s’améliore pas non plus pour
les 9 millions de personnes qui, selon l’Insee, vivent sous le seuil de
pauvreté, soit avec moins de 1 015 euros par mois.
En 2016, les 68 000 bénévoles de l’association ont rencontré 1,4 million de personnes venues
chercher de l’aide, une écoute ou un conseil (60,2 %), une
aide alimentaire (56 %) ou un dépannage pour
régler des factures d’eau ou d’énergie (18,5 %). Présidente du Secours catholique depuis juin 2014, Véronique Fayet, s’alarme d’une
politique « anti-pauvres » du gouvernement.
D’après votre étude, la pauvreté en
France ne s’aggrave pas. Est-ce une bonne nouvelle ?
Malheureusement non, car la pauvreté ne recule pas. Les personnes
rencontrées disposent d’en moyenne 548 euros par mois, 3 euros de plus
qu’en 2010 ! Celles qui ont un revenu – et 52 % des personnes
accueillies sont actives – voient, elles, leurs ressources
progresser, dans la même période, de 10 euros, bien moins que le renchérissement du coût de la vie.
Enfin, près d’un ménage sur cinq (19 %) n’a aucune ressource, soit
cinq points de plus qu’en 2010, dont 53 % d’étrangers. On assiste donc à
une stagnation sans amélioration, avec le risque d’une banalisation car
tout semble
indiquer
que, depuis quatre ou cinq ans, on s’habitue à ces taux élevés d’une
pauvreté qui touche par ailleurs maintenant près de 3 millions
d’enfants.
Qui sont les familles pauvres ?
Il y a des profils très variés. Nous constatons, par exemple, une
précarisation croissante des seniors qui représentent, en 2016, 10 % de
notre public, contre 5 % en 2000 : les
carrières
heurtées, incomplètes, et les temps partiels expliquent leurs faibles
retraites. Les femmes veuves, divorcées ou séparées ont des pensions de
réversion misérables et elles se retrouvent dans un profond isolement.
Nous voyons aussi de plus en plus de familles, notamment monoparentales –
trois ménages sur dix –, et des couples avec enfants : ils représentent
24 % de nos bénéficiaires (22 % en 2010).
Les étrangers sont évidemment très présents, ils représentent 40 %
des personnes que nous rencontrons, soit 10 points de plus qu’en 2010,
avec une proportion grandissante de femmes. Ils sont sans papiers (20 %,
le double d’il y a cinq ans), en attente d’un statut, réfugiés (40 %)
ou européens, essentiellement des familles Roms en provenance de
Roumanie ou de
Bulgarie. Contrairement aux
idées
reçues, ces familles ont très peu recours aux aides : seules 29 %
touchent le revenu de solidarité active (RSA) alors que, étant
européennes, elles y auraient toutes droit.
Que pensez-
vous de la
politique du gouvernement envers les pauvres ?
Je constate une sorte de politique anti-pauvres, avec de multiples signes négatifs : baisse des allocations
logement,
suppression brutale de 200 000 contrats aidés… Le minimum vieillesse et
l’allocation pour adulte handicapé ont été rehaussés, pas le RSA, une
manière de
dire que les pauvres, sauf s’ils sont vieux ou handicapés, n’ont qu’à
travailler.
Vis-à-vis des riches, en revanche, les signaux positifs se
multiplient et les dizaines de milliards d’euros de l’évasion et de la
fraude fiscales me mettent en colère, alors qu’il suffirait d’un petit
milliard d’euros pour, par exemple,
rétablir les contrats aidés permettant à des personnes de
renouer avec l’
emploi.
Où en est la concertation lancée, le 17 octobre, par
Emmanuel Macron et la ministre des solidarités et de la santé, Agnès
Buzyn, pour refonder l’action sociale ?
Au point mort. Depuis le 17 octobre, aucune réunion de
travail
n’a été organisée. On nous avait annoncé la nomination imminente d’un
délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté et puis plus
rien… D’après les rumeurs, plusieurs personnes pressenties ont refusé la
mission, sans doute devant l’incertitude des moyens et de la feuille de
route. Pourtant, il y a urgence.
Que préconisez-vous pour
sortir les familles de cette pauvreté qui s’enkyste dans la société française ?
L’action sociale doit s’intéresser aux familles, sous tous les
aspects, logement, santé, emploi et formation ; 40 % de notre public a
un niveau d’école primaire et a besoin de formation, mais seul 1 % en
bénéficie. Nous attendons donc avec impatience la réforme sur la
formation. Le gouvernement promet aussi 40 000 places en pensions de
famille
ou en maisons relais, tout en baissant de 1,5 milliard d’euros le
budget logement 2018 et en supprimant les aides à la pierre pour des
logements très sociaux : il y a, selon moi, un manque de cohérence.
Y a-t-il des mesures spécifiques à
prendre vis-à-vis des étrangers ?
Oui, ce public est frappé par la très grande pauvreté. Il faut
avoir le courage de
régulariser, notamment les familles qui n’ont pas le droit de travailler ou de se
loger. Plusieurs milliers d’entre elles vivent depuis des années à l’hôtel, avec des problèmes de santé, de
nutrition, de promiscuité et de déscolarisation.
Ce ne sont pas de gros effectifs, quelques dizaines de milliers de
personnes, mais cela donnerait un peu d’air à notre système
d’hébergement, actuellement asphyxié.
Les aides sociales changent sans arrêt et leurs
bénéficiaires ne savent pas, d’un mois à l’autre, sur quelles ressources
ils peuvent
compter. Souhaitez-vous leur refonte ?
Depuis 1945, on a empilé les différentes aides et atteint une grande
complexité, avec pas moins de dix minima sociaux ! Le système est
illisible pour les travailleurs sociaux comme pour les bénéficiaires,
dont certains, d’ailleurs, renoncent à leurs droits pour cette raison.
Il est aussi mal accepté par les Français qui travaillent et galèrent et
ont l’impression que les pauvres profitent du système, ce qui est faux.
Tout cela nuit gravement à la cohésion sociale et nous appelons, par exemple, à
fusionner,
simplifier ces aides, comme le suggéraient, dès 2005, la sénatrice (
UDI)
du Nord Valérie Létard ou, plus récemment, le rapport de l’ancien
député (SRC) de Saône-et-Loire Christophe Sirugue. On sait ce qu’il faut
faire. Maintenant, il faut des actes.
On peut en effet s'élever contre l'augmentation de la pauvreté en France au constat qu'en fait V Fayet. Mais on ne peut souscrire à la conclusion qu'elle en tire vis à vis des "riches", l'évasion et la fraude fiscale qui désigne implicitement les auteurs de cette situation sans rappeler quelques chiffres qui recentrent le débat : les dépenses sociales de la France s’élèvent à 34 % du PIB, prés de 750 milliards d’euros par an, record du monde en la matière. Dans ce budget colossal, les dépenses de santé pèsent pour 37 % du total (environ 250 milliards), et le budget consacré à la politique familial prés de 95 milliards, soit 4% du PIB total de la France ! Ces sommes sont alimentés par les impôts (et la dette), rappelant que plus de la moitié des français ne payent pas l’impôt sur le revenu, et rappelant que l’impôt sur le capital et ses revenus en France (donc les riches) , est le plus élevé au monde !!!
RépondreSupprimerEt pourtant, malgré cette fiscalité délirante, malgré les sommes faramineuses consacrées à la solidarité, la pauvreté augmente ? Mais qui gère donc aussi mal et avec aussi peu d’efficience ces budgets colossaux ? Le vrai sujet, il est là …
RépondreSupprimerLes dépenses publiques en France sont un choix de société; cessons de lancer la pierre à ceux qui gouvernent qui sont ceux que nous élisons. Les dépenses publiques sont les revenus de ceux à qui elles sont commandées et qui transforment alors leurs ressources privées en biens communs. Et ces dépenses publiques se retrouvent en finale dans les comptes bancaires de tous les individus et ménages. Le problème est dans le bon dosage entre les activités de production du secteur publique et du secteur privé. 56.4% c'est trop... pour l'éducation, la santé, la sécurité, les retraites et les infrastructures???? Réduire ou supprimer c'est seulement transférer du public au privé... Un choix de société. Sinon productivité soit "efficience et efficacité" des services publics selon le regretté Philippe Seguin.
L'euro est aussi source de nos maux car au lieu de convergence nous avons eu divergence. Et aujourd'hui nous (en France) sommes surévalués par rapport aux autres monnaies d'échange, via l'euro. L'Allemagne elle, est sous évaluée. Notre compétitivité à l'export est affectée et le solde des échanges avec le reste du monde est déficitaire pour nous, ce qui pèse sur l'économie.