06/08/2017

Jean-Louis Bourlanges, MODEM sur le fonctionnement de l'assemblée

« Lors du budget à l’automne, il faudra attacher nos ceintures »


INTERVIEW - Député apparenté Modem des Hauts-de-Seine, au sein de la majorité, Jean-Louis Bourlanges alerte Emmanuel Macron sur les risque de l’«atterissage» à la rentrée. S’il défend les ordonnances, il se dit plus «réservé» sur la loi de moralisation.

Quels enseignements tirez-vous de cette session parlementaire ?

Je pense qu'on est souvent exagérément sévère et un peu injuste à l'égard de ce nouveau Parlement. Il est composé à 72% de nouveaux parlementaires, il est donc normal que quelques couacs dus à l'inexpérience se produisent ici et là. Il ne faut pas y attacher une importance excessive et il faut relever, comme l'a fait le président de Rugy, une assiduité des nouveaux députés très supérieure à ce que nous avons connu dans le passé. Le vrai problème selon moi n'est pas celui d'une inexpérience dont les effets seront vite corrigés mais celui d'une soumission excessive de l'Assemblée au gouvernement. Non seulement parce qu'un parti dispose de la majorité absolue car ce n'est pas la première fois dans l'histoire de la Vème République mais surtout parce que ce parti n'a pas d'habitudes d'autonomie et de délibération interne lui permettant de se faire entendre et prendre en compte par l'exécutif.

C'est-à-dire ?

En 1958, on avait élu ce qu'on appelait les godillots mais cette majorité était très indocile et a fini d'ailleurs par renverser le gouvernement Pompidou en 1962. En 1968, le parti gaulliste a triomphé mais un an plus tard, il est apparu indispensable d'avoir une majorité plurielle gaulliste, libérale et centriste. En 1981, les socialistes ont raflé la mise mais ils avaient une culture de courants et de démocratie interne qui les rendait indociles aux injonctions du gouvernement. En 1993, la majorité était duale, RPR/UDF et s'est rapidement polarisée autour de deux champions de sensibilités très différentes : Balladur et Chirac. Aujourd'hui, rien de tel. La République en marche, c'est le PS sans les courants, la férule sans les débats et mon groupe, le Modem, a lui-même été très fortement marginalisé à l'occasion du remaniement. Quant aux Constructifs, ils cherchent leur voix dans la grande tradition centriste : un tiers pour, un tiers contre, un tiers d'abstention.

L'exécutif s'inquiète lui-même des débuts de la majorité. Que faut-il changer ?

D'habitude, les gouvernements incriminent les prédécesseurs. Là, compte tenu de l'ambiguïté de la gestation de cette nouvelle majorité, on doit chercher ailleurs. Je ne crois pas que le gouvernement ait à se plaindre du traitement que la majorité réserve à ses textes. Je trouve en revanche qu'il ne se presse pas pour réserver un accueil favorable aux amendements qui ne viennent pas de lui.
La virginité des élus ne justifie pas la désinvolture dont on use avec eux
J'ai été, par ailleurs, très choqué de la désinvolture de Mme Parly, ministre des Armées, qui n'a pas cru bon de venir s'expliquer devant la commission des Finances sur la manière dont elle entendait gérer pour aujourd'hui et pour demain l'annulation de crédits de 850 millions d'euros alors même que cette annulation était à l'origine du premier accroc, pour ne pas dire de la première crise, rencontré par le gouvernement. La virginité des élus ne justifie pas la désinvolture dont on use avec eux.

Le principe des ordonnances vous choque-t-il pour réformer le dialogue social ?

La loi El Khomri était une triple agression : à l'égard des syndicats avec qui on ne dialoguait pas, à l'égard des élus devant lesquels on brandissait le 49.3, à l'égard des salariés dont on reniait certains droits. Le tout porté par un pouvoir en fin de mandat qui n'avait rien annoncé et qui sortait épuisé par cinq années de procrastination. Là, c'est l'inverse : le peuple a été clairement informé par le candidat Macron de la démarche - objectifs et procédures - qui serait la sienne ; le Parlement est amené à se prononcer explicitement à deux reprises, sur le principe et sur la ratification. Les ordonnances permettant par ailleurs au dialogue syndicats/gouvernement de se déployer sereinement et malgré les vociférations de M. Mélenchon, le dispositif recherche et atteindra sans doute un juste équilibre entre les efforts demandés aux uns et aux autres. Le vrai problème, c'est de savoir si ces changements seront à la hauteur des besoins de rénovation du dialogue et des attentes souvent un peu fantasmées du pays.

La « loi confiance » va-t-elle trop loin ou est-elle trop timide ?

Ce n'est pas sans hésitation que j'ai voté cette loi. Je ne m'associe pas en effet à l'hystérie de moralisation à la mode car je pense que les parlementaires ne sont pas du tout les privilégiés abusifs qu'on décrit parfois et le discrédit dont ils sont l'objet tient pour l'essentiel à leur impuissance collective face aux problèmes du pays et non pas à leur immoralité supposée. Du coup, sur la réforme, mon jugement est très balancé. J'approuve la suppression de la réserve parlementaire pour des raisons de principe car l'autorité budgétaire dont disposent les parlementaires doit s'exercer collégialement et ne saurait sans heurter des principes fondamentaux se fragmenter au point de faire de chacun d'entre eux les distributeurs indépendants d'une petite manne électorale. Le budget de la France obéit à des principes d'unité, d'unicité et d'universalité qu'il faut respecter. Même chose pour l'indemnité représentative des frais de mandat : elle est nécessaire et légitime mais les dépenses qu'elle permet doivent être justifiées et contrôlées. Ce n'était pas le cas jusqu'à présent.

Et vos réserves ?

Je suis très réservé sur deux autres points : l'article 1 étend les conditions d'inéligibilité aux auteurs d'un grand nombre de délits. L'opinion est largement favorable à cela et elle en redemande. Je crois pour ma part que c'est pour l'essentiel aux électeurs et non aux juges de dire si tel ou tel candidat mérite leur confiance, à la condition bien sûr que ces électeurs soient pleinement informés du passé judiciaire de ceux qui se présentent devant eux. On est en train de restreindre abusivement le pouvoir des citoyens, avec, hélas, le consentement de ces derniers.
Sur les emplois familiaux, ma réserve est également grande car on est passé d'un constat légitime, la difficulté à contrôler le caractère non fictif de certains emplois familiaux, donc à sanctionner le « pénélopisme », à quelque chose d'autre et de plus pervers, l'illégitimité prétendue des proches d'un parlementaire à travailler avec lui. Interdire au fils d'un député ce qu'on autorise au fils d'un agriculteur, d'un artisan ou d'un commerçant me paraît injuste. Au total, j'ai voté la loi car ses mérites l'emportaient à mes yeux mais ça n'a pas été sans trouble de conscience.

A quoi sert, dans la majorité, le Modem, auquel vous êtes rattaché et qui semble assez absent ?

L'accord entre François Bayrou et Emmanuel Macron a été décisif pour l'élection du nouveau président. Il était donc normal que la représentation parlementaire reflète la dualité et l'équilibre numérique entre LREM et le Modem me paraît satisfaisant. J'ai été en revanche choqué par la marginalisation du parti centriste dans le second gouvernement Philippe et, personnellement, je n'étais pas partisan de l'entrée au gouvernement de Mesdames Darrieussecq et Gourault dès lors qu'aucune compétence clairement définie ne leur était attribuée. Mais il faut voir au-delà. Le véritable problème qui se pose au président, c'est de savoir si sa majorité est une majorité de recomposition, associant comme en Allemagne, aux Pays-Bas ou ailleurs, un centre-droit allergique à la xénophobie et au nationalisme et un centre-gauche revenu de l'utopie révolutionnaire. Ou alors, si c'est une majorité de rupture par rapport à l'ensemble des forces politiques traditionnelles, la table rase en somme.
Le choix de la table rase risque de laisser rapidement Macron seul face à un pays frustré et atomisé
Le Modem est enraciné dans une tradition centriste, démocrate-chrétienne pour une part, prudemment libérale pour une autre, tandis que LREM hésite entre deux vocations : être le parti du nouveau monde, de la table rase, du largage de toutes les amarres avec le passé ou être une sociale-démocratie rénovée, un parti de gauche purgé de ses démons. Selon moi, le choix de la recomposition, c'est-à-dire celui de relais partisans et idéologiques revivifiés entre le président et le pays, c'est le choix de la prudence et de la stabilité. Le choix de la table rase risque de laisser rapidement Emmanuel Macron seul face à un pays frustré et atomisé.

L'exécutif rencontre ses premiers mécontentements. Quel regard portez-vous sur ses débuts ?

Les débuts du président ont été flamboyants et chacun en France a ressenti avec fierté que nous donnions le sentiment de ne plus être l'homme malade de l'Europe. Cela dit, l'ambiance du printemps a été exagérément optimiste. On a eu le sentiment d'une société en apesanteur qui se voyait libérée de la contrainte et prêt à tout obtenir sans efforts ni sacrifices majeurs. Emmanuel Macron s'attarde volontiers à célébrer ce que Lévi-Strauss appelait « la splendeur inaugurale des commencements. » Il est clair que même si le réveil n'est pas douloureux, l'atterrissage sera rude et que la politique consiste encore et toujours, comme le disait Max Weber, à tarauder des planches de bois dur. Nous ne pouvons passer du rabot budgétaire à une réduction structurelle de la dépense publique qu'à la condition de remettre en cause toutes les politiques d'intervention économiques et sociales. Il faut recibler les objectifs, simplifier drastiquement les procédures, quitte à bousculer le système paritaire. C'est un immense chantier qui s'ouvre. On verra, à l'occasion de la loi de finances 2018, si le gouvernement est prêt à relever le défi. En tout état de cause, il nous faudra attacher nos ceintures.

Source: lesechos.fr Isabelle Ficek

 
Plus: Pour Éric Woerth, Emmanuel Macron veut affaiblir le Parlement

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