15/05/2017

Hollande-Macron: une succession sans rupture?



 PAR LÉNAÏG BREDOUX

Au terme de son quinquennat, François Hollande veut croire que l’histoire lui rendra justice. En attendant, il surjoue la filiation politique avec son successeur. Quitte à gommer les désaccords qui ont conduit les deux hommes à la rupture.

Il y a quelque chose de paradoxal à ressentir une forme de soulagement, au moment de la fin du quinquennat de François Hollande. Il y a cinq ans, son élection avait suscité le même sentiment dans l’électorat : l’ancien patron du PS avait permis de balayer Nicolas Sarkozy, sa présidence éreintante et son cortège d’affaires. Bien plus qu’un président « normal », il avait promis l’apaisement, moins de stigmatisation et un peu plus de justice sociale. Ce n’était pas fou, mais ce n’était déjà pas si mal.
Cinq ans plus tard, le bilan est catastrophique. Il y a bien sûr eu des promesses tenues, des embauches dans l’Éducation nationale et la police, et quelques réformes fiscales qui ont apporté un peu plus de justice. Il y a eu les lois de moralisation de la vie publique, la fin du cumul des mandats, et plusieurs textes en faveur des droits des femmes. Il y a eu, évidemment, le mariage pour tous, qui, en dépit du souhait présidentiel, restera comme la seule grande réforme progressiste du quinquennat. Notre-Dame-des-Landes n’a finalement jamais été évacuée.
Mais Rémi Fraisse est mort à Sivens et Fessenheim n’a pas fermé. La France vit sous état d’urgence depuis les attentats de novembre 2015, quand bien même il ne servirait plus à rien. Le gouvernement a fait adopter des lois anti-terroristes, restreignant parfois tellement les libertés publiques et individuelles qu’elles ont fait se dresser contre le pouvoir les principaux représentants de la gauche judiciaire. Le quinquennat a finalement été marqué, du début jusqu’à la fin, par des affaires, de Cahuzac à Le Roux, révélatrices de l’épuisement de la classe politique.
François Hollande a même été jusqu’à reprendre une proposition venue de l’extrême droite pour répondre aux attentats de Paris : la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme, finalement jamais adoptée, faute de majorité. En 2014, il avait déjà choisi un premier ministre, Manuel Valls, qui a estimé que le burkini posait un véritable problème de société, que les Roms n’avaient pas vocation à s’intégrer, et qui a fait du combat « identitaire » le socle de son action politique.
Surtout, le président de la République, qui n’a jamais voulu l’admettre, a nourri un sentiment empoisonné, affectant profondément la valeur de la politique : celui de la trahison. Son « adversaire » du Bourget, la finance, est devenu, au pouvoir, le coût du travail. Le CICE, le pacte de responsabilité et, finalement, la loi sur le travail ont dessiné une politique économique et sociale qui ne surprend guère au regard de la trajectoire politique de François Hollande, mais qui ne figurait pas, en ces termes, dans les fameuses « 60 propositions » de 2012.
Ces choix n’ont jamais été réellement expliqués par un président rétif à la théorisation de sa propre action et qui préférait les commenter au quotidien, dans ses multiples confessions à certains journalistes. Jusqu’à la publication d’Un président ne devrait pas dire ça… (Stock, 2016), qui a largement contribué à son renoncement à la présidentielle, le 1er décembre. Au-delà de la politique menée, le livre signait la faillite de la pratique du pouvoir de François Hollande, commentateur de sa propre action, enfermé à l’Élysée avec le pouvoir immense que lui conférait la Ve République et allant jusqu’à révéler des confidences de chefs d’État étrangers pour illustrer sa propre importance.
François Hollande, le président le plus impopulaire de la Ve République, va donc quitter l’Élysée dimanche, en étant également le premier à ne pas s’être représenté après un seul mandat. Son parti a réalisé un score historiquement faible à la présidentielle, 6,36 %, à peine plus que Gaston Defferre au nom de la défunte SFIO en 1969. Le PS est même menacé dans son existence, pris en étau entre les 20 % de la France insoumise et de Jean-Luc Mélenchon et le succès fulgurant d’En Marche!. Sous son quinquennat, le FN est passé de 18 % des voix au premier tour de la présidentielle de 2012, à 35 % au second tour de celle de 2017, et la droite a remporté toutes les élections intermédiaires.
Quand il quittera le Palais, où il a détesté vivre, le président sortant, au-delà de son émotion légitime, partira en s’accrochant à l’espoir que l’histoire le jugera différemment. Il l’a souvent dit, durant ces cinq années. Il l’a encore répété ces dernières semaines, lors de ses adieux à répétition et de ses ultimes confidences à la presse. « J’ai renoncé pour qu’on porte un regard différent sur ce que j’ai fait. Ce qui m’importait, ce n’était pas le regard du moment mais le fait de marquer profondément l’histoire du pays », disait-il encore dans un long reportage de Libération.
Comme pour mieux y croire, François Hollande n’a de cesse de souligner la continuité avec son successeur, Emmanuel Macron. « Il y a encore des doutes, mais c’est mieux que ce soit Emmanuel Macron plutôt que tout autre. Il vient de cette majorité, de ce gouvernement, de cette histoire, a-t-il expliqué à LibéJe préfère laisser le pays entre des mains qui vont faire fructifier ce que nous avons commencé. » Dans Sud-Ouest : « Je ne passe pas le pouvoir à un opposant politique, c’est quand même plus simple. » Dans Le Monde « C’est à lui maintenant, fort de l’expérience qu’il a pu acquérir auprès de moi, de continuer sa marche. »
En juin 2015, déjà, cité dans Un président ne devrait pas dire ça…, Hollande disait : « Emmanuel Macron, c’est moi. » Dans ses confidences aux journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, il multipliait les expressions paternalistes : « Je lui ai dit : maintenant, il faut corriger. Il a corrigé » ; « Il a un côté enfant » ; « Macron dit toujours, avec un peu de naïveté… » ; « Il veut faire bouger les choses, c’est le rôle que je lui ai assigné ». Le président a cru jusqu’au bout que son ancien conseiller et ancien ministre lui serait loyal, et qu’il n’avait aucune chance de s’émanciper avec succès : trop jeune, jamais élu et sans l’appui d’un vieux parti. Dans le logiciel de François Hollande, Macron président, c’était impensable.
Il n’a pas non plus compris que des désaccords, réels, avaient germé entre les deux hommes. Emmanuel Macron s’en est expliqué sur le plateau de Mediapart, le 2 novembre 2016, quelques jours avant l’annonce de sa candidature : « De l’automne 2015 à l’été 2016, s’est construit une histoire de désaccords successifs », selon l’ancien ministre. Il en dénombre quatre.
Le premier s’appelle « NOÉ », pour loi sur les « nouvelles opportunités économiques ». Après les attentats de 2015, il y a eu, d’après Macron, « un vrai désaccord politique sur la réponse à ces attentats ». Or, juge alors l’ancien ministre, le gouvernement « abandonne la réforme économique et sociale, pour un temps ». « Pour les quartiers les plus en difficulté, pour toute une partie de la population française, l’adaptation de notre modèle est une réponse fondamentale », conteste Macron.
« Troisième désaccord, il est sur l’Europe, poursuit l’ex-conseiller. On doit aller plus sur la réforme et être plus exigeant avec l’Europe, assumer une forme de confrontation avec nos partenaires sur la relance budgétaire et économique. » Là encore, Macron estime avoir perdu, avant de ressentir un « inconfort philosophique » au sujet de la déchéance de nationalité. Et de lâcher dans la foulée : « J’en ai tiré la conclusion qu’il fallait clarifier l’offre politique. »
C’est aussi au regard de cette « offre » que la passation de dimanche n’acte pas une simple continuité : François Hollande a toujours réaffirmé son ancrage à gauche, même s’il devenait de plus en plus contestable au fil du quinquennat. Il a refusé d’ouvrir son gouvernement et sa majorité au centre droit : en 2012, il en avait pourtant eu l’occasion après l’appel de François Bayrou à voter pour lui contre Nicolas Sarkozy. Le patron du Modem finirait même battu aux législatives face à une candidate du PS. « Je n’existe pas dans l’offre politique qui est la sienne […] : l’union des gauches », expliquait Macron, le 2 novembre 2016, à propos de François Hollande.
Six mois plus tard, ces désaccords n’ont pas disparu. Pendant la campagne, Emmanuel Macron, à la fois sincère et soucieux de se détacher de l’image calamiteuse du quinquennat, a multiplié les piques à l’encontre de son ancien chef, y compris sur son rapport avec la presse ou avec l’exercice du pouvoir, qu’il promet « jupitérien ». Il a juré qu’il incarnerait une « rupture » après celui dont il a dit qu’il n’avait jamais été son « obligé ». De fait, son élection esquisse sinon un renouvellement, du moins un rajeunissement de la représentation politique. Elle est aussi la victoire d’un centrisme libéral assumé, revendiquant le dépassement des clivages traditionnels.
Mais, pour le président sortant, mieux vaut désormais instiller l’idée qu’il y est finalement pour quelque chose. Il a quelques arguments. De fait, l’ascension de Macron doit beaucoup à celui qui l’a nommé secrétaire général adjoint de l’Élysée en 2012, puis ministre de l’économie en 2014. Nombre des proches de François Hollande ont soutenu le « traître » : l’avocat Jean-Pierre Mignard, compagnon de route de longue date depuis les clubs Témoins, plusieurs (ex-)conseillers élyséens et même son ancien trésorier de campagne, Jean-Jacques Augier.
Dans les « Macron Leaks », à la généalogie par ailleurs douteuse, son nom apparaît à plusieurs reprises dans les échanges avec Cédric O, lui aussi un ancien de la campagne de 2012 et trésorier d’En Marche!. Après le renoncement de François Hollande, il transmet ses notes sur les comptes de 2012, contacte un de ses anciens collaborateurs pour évaluer les imprimeurs possibles et leurs coûts, est interrogé sur la procédure choisie à l’époque pour les DOM-TOM… Cédric O, lui-même, qui travaillait alors avec le directeur de campagne Pierre Moscovici, renvoie certaines notes de la campagne, comme celle sur la procédure de validation des communiqués de presse ou sur l’organigramme. Des archives précieuses pour engager une nouvelle campagne, avec un mouvement si récent…
De nombreux « hollandais » ont aussi voté pour Emmanuel Macron dès le premier tour et Benoît Hamon a trouvé bien peu de ministres pour le soutenir dans sa campagne présidentielle. Selon Bernard Poignant, conseiller de Hollande pendant cinq ans, le président lui-même a voté pour son ancien protégé le 23 avril. Son conseiller en communication, Gaspard Gantzer, camarade de promotion de Macron à l’ENA, a été investi aux législatives à Rennes sous l’étiquette La République en marche! (LREM), avant de renoncer devant la bronca des élus locaux.
Sur le fond aussi, si des désaccords les ont séparés, et si Macron veut évidemment aller plus loin dans les réformes libérales, au point de séduire certains proches d’Alain Juppé, ils ont en commun nombre de constats. « Il peut avoir des idées iconoclastes, qui me paraissent trop libérales, il a cette culture d’entreprise, ce n’est pas la même chose qu’une culture d’État », disait Hollande du nouveau président dans Un président ne devrait pas dire ça… Mais il disait aussi, par exemple : « Ce qu’il pense, c’est qu’il faudrait donner plus de liberté aux entreprises pour renégocier le temps de travail. Ça, sans doute qu’il le pense. Mais il n’est pas le seul à le penser… Moi, je suis pour qu’on maintienne la durée légale du temps de travail à 35 heures. Après on peut discuter, négocier… »
En marchant sur le tapis rouge, savamment étiré dans la cour de l’Élysée, François Hollande pourra aussi se rassurer en pensant aux premiers « couacs », que l’on n’appelle pas encore comme cela, de la nouvelle présidence, lesquels rappellent le début de son quinquennat. Une fois encore, il y a François Bayrou dans le paysage. Cette fois, c’est à propos des législatives. Il y a aussi ces premiers renoncements, comme Gantzer, et ces erreurs de liste. Il y a cinq ans, le premier procès fait à Hollande était celui de l’amateurisme.

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