En
faisant référence dans une réunion publique à l'héritage historique de
nos ancêtres gaulois, Nicolas Sarkozy s'est attiré une pluie de
critiques venues du monde politique. Des critiques qui oublient bien
vite l'importance du récit national dans la construction de l'identité
française.
Atlantico : En déclarant ce lundi à Franconville qu'à partir du moment où l'on est français, "on vit comme un Français et nos ancêtres sont les Gaulois", Nicolas Sarkozy s'est attiré de nombreuses critiques, certains l'accusant d'inculture voire de racisme. Pourtant, cette "polémique" ne révèle-t-elle pas simplement deux conceptions de l'identité nationale française, l'une basée sur le mythe du récit historique et national comme ciment du vivre-ensemble, et l'autre basée sur l'acceptation de valeurs communes ? Ce débat n'est-il pas nécessaire dans notre démocratie ? Opposer nécessairement récit et valeurs a-t-il vraiment du sens ?
Yves Roucaute : Terrible puissance des demi-habiles ou demi-savants, dont se moquait Pascal. Les propos de Nicolas Sarkozy n'auraient pas dû soulever une telle polémique. Il est étonnant d'ailleurs que cette polémique ait été en particulier soulevée par la gauche. Historiquement, la gauche (radicale et socialiste) a toujours soutenu la thèse qu'il fallait donner aux enfants de France dans les écoles une culture commune au centre de laquelle se trouvait un grand récit, celui des origines, en particulier celui de nos ancêtres les Gaulois. Les instituteurs de la IIIème République ne se posaient pas la question de savoir s'ils avaient en face d'eux des enfants d'origine italienne, portugaise, basque, créole, maghrébine, ils se posaient la question de savoir comment ils allaient cimenter l'unité de la nation et ils avaient à leur disposition des manuels qui disaient eux aussi cette histoire de la Guyane à La Rochelle.Il est assez facile de rire en se disant qu'un enfant noir ne peut pas être d'origine gauloise ou qu’un enfant venu d’une famille maghrébine n’a rien à voir avec les Gaulois. Mais ce ricanement montre seulement l’étendue de l’ignorance d’une grande partie de notre personnel politique qui aurait mieux fait d’apprendre comment fonctionne la politique et l’imaginaire au lieu de se croire intelligents parce qu’ils manquent d’intelligence politique.
La question n'est pas de savoir si les Français sont ethniquement d'origine gauloise. Tout le monde sait que pour la plupart des Français ne sont pas d’origine gauloise, et qu'il y a eu dans l'Histoire des mélanges. De même, les Américains en sont pas tous descendants ethniquement des Pères pèlerins, cela ne les empêche pas de fêter Thanksgiving, pour remercier les Indiens de les avoir accueillis. De même, cela n’empêche pas les Italiens d’apprendre l’histoire de Romulus et Remus ou les Mexicains l’histoire des populations indiennes.
La, nous créons un grand récit parce que nous en avons besoin. C’est le récit de l'Histoire de France qui correspond à notre nation civique qui justement n'est pas fondée sur le sang mais sur une histoire et des valeurs communes. Ces valeurs doivent être incarnées et intégrées dans cette histoire. Il ne peut y avoir de valeurs abstraites, c'est d'ailleurs un peu le problème de la gauche actuelle qui parle de république, de liberté et d'égalité mais n'accroche pas ces termes à une histoire.
La
question des Gaulois est absolument fondamentale. Elle signifie qu'on
donne à notre nation une racine historique commune. Et une origine
orientée, on ne parle pas de nos ancêtres anthropophages par exemple,
pourtant c’est aussi la vérité, oui de nos ancêtres qui ont collaboré
avec les nazis. Il faut que tout le monde participe à l'apprentissage de
ces racines communes qui font sens. Tous ceux qui ne comprennent pas ça
ne comprennent rien à la nation civique française, et je dirais même à
la politique. Il est assez inquiétant de voir qu'une partie du personnel
politique soit à ce point ignorante de la nécessité de construire un
récit commun pour maintenir une unité nationale. La nation civique
française a même besoin d'avoir un grand récit plus fort, qui remonte
loin, justement parce qu'elle n'est pas fondée sur le sang, parce
qu'elle n'est pas ethnique. C’est ce que pensait d’ailleurs Napoléon,
qui n’hésitait pas à rappeler ces origines gauloises ou le général de
Gaulle. En dérogeant à cette tradition qui avait le soutien de gens
aussi différents que Clémenceau ou les révolutionnaires de 1789,
François Mitterrand montrait seulement qu’il était la victime du
politiquement correct laxiste et multi-culturaliste qui dominait en
France au début des années 80, et qui a fait tant de mal au pays.
Cet imaginaire que nous construisons par l'école, par le grand récit, par la fable, est d’ailleurs loin d’être arbitraire. Il est inscrit sur une réalité historique. Même dans notre langage, même dans les autres symboles, nous avons cette puissance de l'imaginaire gaulois. Par exemple, l'idée-même du coq, ce fameux coq que nous présentons comme le symbole de la France, vient en réalité de la Gaule et des Gaulois. Dans le vocabulaire ancien, les partenaires commerciaux des Gaulois les appelaient "Gau", ce qui signifie "coq". Le coq se retrouve sur la monnaie, sur des médailles, des statues, des vases, dans la Gaule préromaine. On a donc une sorte de grande tradition. Le coq reste la représentation de la France, jusqu'au Saint-Empire romain germanique qui représente la France par ce "coq") ce "gau", cette gauloiserie.
L'idée donc qu'affirmer "nos ancêtres les Gaulois" serait la preuve d'une inculture est totalement sidérante. Cela prouve au contraire à quel point ceux qui critiquent ont peu de culture.
Car ce grand récit est profondément républicain
Il faut savoir que lorsque les Francs arrivent, ils inventèrent un autre grand récit pour maintenir l'unité du pays : "nos ancêtres les François". Évidemment, on savait bien aussi alors qu'il y avait pléthore de Burgondes, de Gallo-Romains, d'Ostrogoths, de basques, de Wisigoths, etc. On savait bien que ce n'était pas vrai au sens ethnique du terme, mais au sens civique Clovis voulait absolument fondre cette nation dans une même unité. Ce récit des François est arrêté au XVIIIe siècle car les aristocrates d'alors inventèrent sous l'influence de l'aristocratie espagnole l'idée d'une "race française", qui aurait le sang bleu. Du coup, il y a eu une sorte d'opposition entre "François" et "Gaulois". Quand la Révolution Française est arrivée, on a supprimé la référence aux « François et on a commencé à construire ce discours "gaulois", ce qui est devenu la référence de la IIIème République puis de la IVème.
Source: atlantico.fr Publié le et voir tous les commentaires des lecteursCet imaginaire que nous construisons par l'école, par le grand récit, par la fable, est d’ailleurs loin d’être arbitraire. Il est inscrit sur une réalité historique. Même dans notre langage, même dans les autres symboles, nous avons cette puissance de l'imaginaire gaulois. Par exemple, l'idée-même du coq, ce fameux coq que nous présentons comme le symbole de la France, vient en réalité de la Gaule et des Gaulois. Dans le vocabulaire ancien, les partenaires commerciaux des Gaulois les appelaient "Gau", ce qui signifie "coq". Le coq se retrouve sur la monnaie, sur des médailles, des statues, des vases, dans la Gaule préromaine. On a donc une sorte de grande tradition. Le coq reste la représentation de la France, jusqu'au Saint-Empire romain germanique qui représente la France par ce "coq") ce "gau", cette gauloiserie.
L'idée donc qu'affirmer "nos ancêtres les Gaulois" serait la preuve d'une inculture est totalement sidérante. Cela prouve au contraire à quel point ceux qui critiquent ont peu de culture.
Car ce grand récit est profondément républicain
Il faut savoir que lorsque les Francs arrivent, ils inventèrent un autre grand récit pour maintenir l'unité du pays : "nos ancêtres les François". Évidemment, on savait bien aussi alors qu'il y avait pléthore de Burgondes, de Gallo-Romains, d'Ostrogoths, de basques, de Wisigoths, etc. On savait bien que ce n'était pas vrai au sens ethnique du terme, mais au sens civique Clovis voulait absolument fondre cette nation dans une même unité. Ce récit des François est arrêté au XVIIIe siècle car les aristocrates d'alors inventèrent sous l'influence de l'aristocratie espagnole l'idée d'une "race française", qui aurait le sang bleu. Du coup, il y a eu une sorte d'opposition entre "François" et "Gaulois". Quand la Révolution Française est arrivée, on a supprimé la référence aux « François et on a commencé à construire ce discours "gaulois", ce qui est devenu la référence de la IIIème République puis de la IVème.
L'influence
de la Gaule est d'ailleurs très forte dans l'esprit et l'imaginaire.
Nous avons hérité d'eux la liberté et l’égalité. Leur esprit de liberté
et d’égalité était tellement fort que le père de Vercingétorix,
Celtillos, a été mis à mort par sa propre tribu parce qu'ils craignaient
qu'ils veuillent devenir roi. Ce sentiment de liberté et d’égalité très
puissant a d'ailleurs été noté par Suétone puis Jules César.
De même, les banquets, la fabrication du vin, l'organisation de la structure du paysage français en pays sont tous un héritage gaulois. Dans les tribus, qui étaient elles-mêmes des mélanges ethniques, chacun était membre de la tribu à partir du moment où ils partageaient les valeurs de la tribu. Les Tardelli par exemple étaient ainsi un mélange de Basques et de Celtes, et étaient très fiers d'être des Tardelli, sans se préoccuper de l'origine d'untel ou d'untel. Nous avons hérité de ça.
Et cet héritage, aucune autre nation du monde ne le possède même si nous trouvons chez les Gallois (le terme vient d’ailleurs de "gau" aussi) et les Ecossais des similitudes.
Il est dommage que des politiques ne comprennent pas l'importance de construire un imaginaire, comme toutes les populations du monde le font. Et d’imposer une histoire commune. Nous sommes en crise et nous avons besoin de reconstruire le récit et de remettre du liant à l'intérieur de la société française. Je pense donc que c'est un mauvais procès fait à Nicolas Sarkozy. Et une preuve de l’incompétence de nos politiques à être des politiques.
Eric Deschavanne : Comme
souvent, le buzz masque la teneur exacte du propos, qui est pourtant
dans le cas présent assez limpide. Nicolas Sarkozy fait référence à un
cliché du "roman national" - lequel a pour vertu de "parler" à tout le
monde - afin d'afficher un parti-pris en faveur de l'assimilation. Il
s'inscrit dans un débat en effet nécessaire, qui n'est toutefois pas le
débat "récit historique ou valeurs communes" mais celui qui oppose
multiculturalisme et assimilationnisme. Si on veut donner sens aux
termes du débat en circulation, il faut considérer que l'assimilation et
le multiculturalisme sont les deux modèles d'intégration entre lesquels
il faut nécessairement choisir. Ensuite, se pose évidemment la question
des modalités et, dans le cas de l'assimilation, de la conception de
l'identité nationale qui fonde le projet d'assimilation. On peut vouloir
l'assimilation à une conception ethnique de la nation ou l'assimilation
à une conception républicaine, qui associe identité nationale et
principes universels.
Je suis d'ordinaire plutôt "Sarkophobe", mais je dois avouer que je suis consterné par la malveillance et la bêtise des réactions que suscite un propos dont le seul tort est d'être impeccablement républicain. Nicolas Sarkozy est peut-être inculte, mais tout de même pas au point de penser qu'un néo-Français issue de l'immigration subsaharienne descend en ligne direct des Gaulois ! Son propos est parfaitement républicain et antiraciste puisqu'il signifie qu'être Français n'est pas une question de race, d'ethnie, de racines, de souche ou que sais-je, mais exclusivement une affaire d'engagement personnel par lequel on s'inscrit volontairement dans un nouveau destin collectif. Paradoxalement (mais le paradoxe n'est qu'apparent), ce sont les réactions critiques qui véhiculent une conception raciste ou ethnique de l'identité, en évoquant notamment la notion de "racines" ou en interprétant la formule toute faite "nos ancêtres les Gaulois" dans le sens d'une lignée génétique ou culturelle. Ces réactions témoignent d'une adhésion plus ou moins confuse à un modèle multiculturaliste qui conçoit la France comme une identité informe ou métissée composée de multiples souches, races ou ethnies. Il est intéressant d'observer, à travers les réactions provoquées par un propos pourtant clair et net, à quel point les esprits sont embrouillés sur cette question de l'identité. Que l'histoire de France (comment qu'on la conçoive) soit l'histoire de tous les Français, ou le devienne s'il s'agit de nouveaux arrivants, quoi de plus incontestable ! Bien entendu, les immigrés arrivent avec dans leur bagage une histoire, une culture, des traditions. On est cependant en droit de considérer que la volonté de vivre en France et de devenir Français vaut adhésion à l'identité collective de la France. Ou alors, mais il faut l'assumer clairement, c'est qu'on considère la France comme un territoire neutre, sans identité, une nation sans histoire ni destin, exclusivement destinée à accueillir une multiplicité de traditions, d'identités ethniques et de modes de vie venus d'ailleurs.
Aujourd'hui, nous confondons un peu tout. Il faut donc hiérarchiser. Il y a des choses fondamentales où l'on ne peut pas négocier : l'égalité homme-femme, le respect de la dignité humaine, les droits individuels, le mode d'organisation sociale, etc. Le problème du multiculturalisme, c'est qu'il ne différencie rien. il mélange tout, les différences acceptables de celles qui ne le sont pas et le fait qu’il existe un mode de vie français, avec ses obligations et ses sanctions.
Nous avons eu ce phénomène pendant 40 ans, surtout à gauche, mais la droite, par peur de la gauche et d'être traitée de raciste ou d'islamophobe, a suivi un peu le mouvement – et on le voit aujourd'hui encore. Il est temps qu'on apprenne à un certain nombre de gens vivant en France qu'il y a des règles à respecter en France. Et, ceux qui n’aiment pas la France doivent soit partir, si c’est possible, soit se plier à nos règles, par la force si possible. Nous manquons d’un Clémenceau.
De même, les banquets, la fabrication du vin, l'organisation de la structure du paysage français en pays sont tous un héritage gaulois. Dans les tribus, qui étaient elles-mêmes des mélanges ethniques, chacun était membre de la tribu à partir du moment où ils partageaient les valeurs de la tribu. Les Tardelli par exemple étaient ainsi un mélange de Basques et de Celtes, et étaient très fiers d'être des Tardelli, sans se préoccuper de l'origine d'untel ou d'untel. Nous avons hérité de ça.
Et cet héritage, aucune autre nation du monde ne le possède même si nous trouvons chez les Gallois (le terme vient d’ailleurs de "gau" aussi) et les Ecossais des similitudes.
Il est dommage que des politiques ne comprennent pas l'importance de construire un imaginaire, comme toutes les populations du monde le font. Et d’imposer une histoire commune. Nous sommes en crise et nous avons besoin de reconstruire le récit et de remettre du liant à l'intérieur de la société française. Je pense donc que c'est un mauvais procès fait à Nicolas Sarkozy. Et une preuve de l’incompétence de nos politiques à être des politiques.
Je suis d'ordinaire plutôt "Sarkophobe", mais je dois avouer que je suis consterné par la malveillance et la bêtise des réactions que suscite un propos dont le seul tort est d'être impeccablement républicain. Nicolas Sarkozy est peut-être inculte, mais tout de même pas au point de penser qu'un néo-Français issue de l'immigration subsaharienne descend en ligne direct des Gaulois ! Son propos est parfaitement républicain et antiraciste puisqu'il signifie qu'être Français n'est pas une question de race, d'ethnie, de racines, de souche ou que sais-je, mais exclusivement une affaire d'engagement personnel par lequel on s'inscrit volontairement dans un nouveau destin collectif. Paradoxalement (mais le paradoxe n'est qu'apparent), ce sont les réactions critiques qui véhiculent une conception raciste ou ethnique de l'identité, en évoquant notamment la notion de "racines" ou en interprétant la formule toute faite "nos ancêtres les Gaulois" dans le sens d'une lignée génétique ou culturelle. Ces réactions témoignent d'une adhésion plus ou moins confuse à un modèle multiculturaliste qui conçoit la France comme une identité informe ou métissée composée de multiples souches, races ou ethnies. Il est intéressant d'observer, à travers les réactions provoquées par un propos pourtant clair et net, à quel point les esprits sont embrouillés sur cette question de l'identité. Que l'histoire de France (comment qu'on la conçoive) soit l'histoire de tous les Français, ou le devienne s'il s'agit de nouveaux arrivants, quoi de plus incontestable ! Bien entendu, les immigrés arrivent avec dans leur bagage une histoire, une culture, des traditions. On est cependant en droit de considérer que la volonté de vivre en France et de devenir Français vaut adhésion à l'identité collective de la France. Ou alors, mais il faut l'assumer clairement, c'est qu'on considère la France comme un territoire neutre, sans identité, une nation sans histoire ni destin, exclusivement destinée à accueillir une multiplicité de traditions, d'identités ethniques et de modes de vie venus d'ailleurs.
Le discours d'acceptation de valeurs communes est-il équitablement adressé à tous les Français selon vous ? Alors qu'une partie de la gauche semble demander des efforts d'acceptation d'autrui, qu'en est-il de la population française issue de l'immigration ? En fait-elle assez pour s'inscrire justement dans ce "moule républicain", dans le respect de ces valeurs qui contribuent à façonner l'identité française ?
Yves Roucaute : Il
est très frappant de constater que cette question de l'apprentissage du
grand récit ne posait aucun problème aux gens qui arrivaient en France
avant les années 1960. Sous l'influence du tournant des années
1960-1970, au nom du respect de la différence, c'est devenu soudainement
un problème. Et, dans les années 80, les "demi-habiles" se sont
emparés du pays avec le politiquement correct.
Nous
avons alors vu des gens qui ont commencé à dire qu'il fallait accepter
les différences de ces gens-là, qu'on ne pouvait pas imposait un modèle
unique aux immigrés et qu’il fallait respecter au même titre toutes les
civilisations.
Je
note en passant qu'aucun autre pays d’où venaient ces migrants ne tient
ce discours-là ! Dans ces pays, on part du principe qu'il y a des
histoires propres, et on demande à ces gens d'apprendre et d'assimiler
l'histoire de ces pays pour devenir des citoyens.
En France, nous
avons eu ce courant déstabilisant depuis les années 1970, où l'on a
demandé aux Français un effort pour accepter des cultures qui n'étaient
pas assimilables. Qu'un Algérien musulman ne mange pas de porc ou qu'un
Hindouiste ne mange pas de viande ne pose aucun problème aux Français.
Ce qui pose problème aux Français, c'est qu'on veuille imposer son mode
de vie sur le leur et que l’on viole les valeurs sur lesquelles est
fondée leur civilisation, telle que l’égale dignité des hommes et des
femmes. Les Français considèrent qu'on doit globalement vivre en
français. Ils ne veulent pas qu'on leur impose des modes de vie qui ne
sont pas les leurs. Et ils comprennent parfaitement que la femme qui
porte un burkini, qui met un niqab, est dans une position cde
provocation et d‘agression de la France.Aujourd'hui, nous confondons un peu tout. Il faut donc hiérarchiser. Il y a des choses fondamentales où l'on ne peut pas négocier : l'égalité homme-femme, le respect de la dignité humaine, les droits individuels, le mode d'organisation sociale, etc. Le problème du multiculturalisme, c'est qu'il ne différencie rien. il mélange tout, les différences acceptables de celles qui ne le sont pas et le fait qu’il existe un mode de vie français, avec ses obligations et ses sanctions.
Nous avons eu ce phénomène pendant 40 ans, surtout à gauche, mais la droite, par peur de la gauche et d'être traitée de raciste ou d'islamophobe, a suivi un peu le mouvement – et on le voit aujourd'hui encore. Il est temps qu'on apprenne à un certain nombre de gens vivant en France qu'il y a des règles à respecter en France. Et, ceux qui n’aiment pas la France doivent soit partir, si c’est possible, soit se plier à nos règles, par la force si possible. Nous manquons d’un Clémenceau.
Eric Deschavanne : Comme
beaucoup de Français je pense, la question de l'intégration ne me
paraît pas insoluble pour peu qu'on fasse preuve d'un peu de bon sens.
En effet, l'intégration n'est possible que par un effort conjoint de la
population qui intègre et de celle qui s'intègre. Le débat porte
aujourd'hui principalement sur l'islam. Il est évident que si l'on
s'arqueboute sur une conception ethnique de la nation en considérant
l'islam comme une religion par essence incompatible avec les valeurs de
la République ou définitivement étrangère, l'intégration des musulmans
devient impensable et impossible. Il est également évident que les
musulmans qui choisissent une interprétation de l'islam et un mode de
vie en rupture avec les valeurs et les moeurs françaises peuvent
difficilement espérer s'intégrer sans heurts. Être équitable consiste à
mes yeux à refuser aussi bien la xénophobie des identitaires que la
xénophilie débile de ceux qui vous expliquent que le burkini est un
vêtement comme un autre. L'argument multiculturaliste le plus dangereux,
fort bien exploité par les islamistes, est celui qui consiste, en
récusant la problématique de l'intégration, à affirmer que c'est la
carte d'identité qui fait le Français, de sorte que si on peut montrer
que les salafistes sont des Français de troisième génération (parfois,
on le sait, ce sont même des convertis), cela implique de considérer
désormais le salafisme comme une tradition française ou une partie de la
culture française. C'est là qu'on mesure l'importance et l'intérêt de
défendre l'idée qu'il existe une identité culturelle de la France. Ce
qui n'a rien à voir avec le racisme, lequel consiste à estimer que seuls
les Français de souche sont aptes à assimiler cette identité.
N'y a-t-il pas par ailleurs un certain paradoxe historique de voir la gauche questionner ce récit national, elle qui a pu largement s'appuyer dessus par le passé (au XIXe siècle notamment) ?
Eric Deschavanne : Le
mythe des Gaulois est en effet inventé par "la gauche", si on veut, ou,
plus exactement, il est d'origine révolutionnaire : les aristocrates
descendant des Francs, il fallait que le peuple eût une autre origine,
ancrée dans un passé plus ancien, et donc une légitimité historique plus
grande. La question n'est cependant pas là. On se trompe si on imagine
que l'on réussira l'intégration en réactivant le roman national du 19e
siècle ou en ressuscitant le service militaire. Ces billevesées polluent
de débat. On peut être assimilationniste sans être bêtement
réactionnaire. L'histoire de France doit être enseignée à tous, sous la
forme d'un récit, certes, mais pas d'un "roman" - ni roman national, ni
roman anti-national du reste. On peut et on doit faire - comme le
suggère Mara Goyet dans la lignée des "Lieux de mémoire" de Pierre Nora
- la pédagogie du "roman national" (lequel fait partie de l'histoire de
France), afin par exemple de comprendre la place des "Gaulois" dans
l'imaginaire national. Mais l'enseignement doit absolument faire
prévaloir la vérité historique sur les considérations morales,
idéologiques et politiques. Najat Vallaud-Belkacem, qui vient dire
aujourd'hui à la télévision que l'histoire doit être véridique, avait au
début du quinquennat co-signé avec Vincent Peillon un appel à rectifier
les manuels d'histoire pour y faire figurer davantage de femmes - non
pas par souci de vérité historique, mais pour faire progresser la cause
de l'égalité hommes/femmes, pour donner aux petites filles davantage de
supports d'identification. L'enseignement de l'histoire n'a pas à être
progressiste ou réactionnaire, il doit se garder d'être édifiant, de
prétendre cultiver l'amour de la patrie ou celui de l'égalité. Le culte
de la science et de son idéal de vérité est un des marqueurs de
l'identité française, héritage des Lumières, de Condorcet et du
positivisme. Il faut y tenir car la vérité, par définition universelle,
est une valeur commune, un Bien commun qui rassemble les hommes, tandis
que l'idéologie divise. Où l'on voit que l'identité française est
inséparable du culte de l'universel. Le gouvernement algérien vient de
faire retirer des écoles un manuel de géographie au motif qu'il
contenait non pas une erreur factuelle, mais au contraire un fait
indéniable, une carte où figurait l'État d'Israël. Une telle conception
idéologique du savoir scolaire s'inscrit dans un roman national, mais
elle est en rupture avec l'idée d'humanité. Un tel modèle ne peut être
ni multiculturaliste ni assimilationniste : il rend purement et
simplement l'intégration de l'étranger impossible. L'assimilation, il ne
faut pas l'oublier, est l'assimilation de l'autre, ce qui suppose
l'ouverture et la reconnaissance du commun. On ne peut assimiler en
opposant le particulier au particulier, en se coupant de l'universel.
Nous assimilerons d'autant mieux si nous récusons la tentation du
particularisme ethnique et de la partialité idéologique.
Yves Roucaute est philosophe. Agrégé de philosophie et de sciences politiques, il enseigne à la faculté de droit de l’université de Paris-X.
Eric Deschavanne est
professeur de philosophie. A 48 ans, il est actuellement membre du
Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris
IV et a récemment publié Le deuxième humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry (Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).
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