24/09/2019

Lucile Schmid: «Nous n’avons pas besoin d’un grand soir écolo, mais d’un compromis historique»

 
ENTRETIEN - Les écologistes de toutes tendances, s’ils veulent constituer une majorité aux élections et gouverner, doivent cesser d’instruire des procès en pureté idéologique, argumente Lucile Schmid, cofondatrice du think tank La Fabrique écologique.
Membre du PS puis d’EELV, ancienne conseillère régionale d’Île-de-France, Lucile Schmid a été candidate aux européennes sur la liste Urgence écologie. Elle est par ailleurs membre du comité de rédaction de la revue Esprit.
LE FIGARO.- Le «phénomène» Greta Thunberg a agité les médias tout l’été. Que pensez-vous du succès médiatique de cette jeune militante?
Lucile SCHMID.- Sans être dupe de ce coup de communication, le succès de Greta Thunberg dit quelque chose de profond: la nécessité de donner un visage concret à la question des générations futures, par l’incarnation. La «grève planétaire des jeunes pour le climat» a été un phénomène aussi puissant qu’inédit, qui a permis de remettre l’urgence climatique sur le devant de la scène. Cette question avait déjà pris une visibilité plus forte à cause des incendies de l’an passé. Je me réjouis donc de ce mouvement, même si j’en perçois les limites. Greta Thunberg se contente de relayer la parole scientifique tout en admettant ne pas avoir les solutions politiques. Tout notre travail est de nouer des alliances entre ce gisement de bonnes volontés et des alternatives politiques concrètes. Mais on ne peut, devant une question si complexe, se reposer sur une seule figure.
«Les sorties provocatrices et l’irréalisme de certains écologistes sont, tout comme le climatoscepticisme, des refuges dans l’abstraction»
Un nouveau mouvement, dit collapsologie, prédit l’effondrement prochain de nos sociétés. Que pensez-vous de ce catastrophisme?
Le problème de cette critique est que, si elle s’appuie sur des faits scientifiques établis (le basculement dans l’ère de l’anthropocène et la responsabilité écrasante de l’homme dans le réchauffement climatique), elle peut paralyser la capacité du citoyen à réagir. Le discours collapsologique, en proclamant que «nous n’avons plus le choix», élude la question essentielle du débat démocratique. Les sorties provocatrices et l’irréalisme de certains écologistes sont, tout comme le climatoscepticisme, des refuges dans l’abstraction. Il nous faut éviter à la fois le catastrophisme et le déni afin de faire de l’interpellation écologique un véritable pouvoir, et organiser un mode d’emploi écologique pour tous qui réponde aux questions essentielles de comment agir, avec qui et selon quel calendrier.
La transition écologique nécessite des politiques volontaristes, et certains craignent qu’elle ne finisse par justifier une forme d’autoritarisme. Cette inquiétude est-elle justifiée?
La perspective écologique oblige à une accélération très importante des processus, qui réclame sinon de l’autorité, du moins de la volonté. Cependant je crois que la transition de modèle ne pourra s’accomplir sans un changement de regard, une révolution culturelle. Il ne s’agit pas tant d’imposer de nouvelles contraintes, que de renoncer à de fausses libertés. A-t-on vraiment besoin de consommer sans limites? Une vie réussie se mesure-t-elle à l’abondance matérielle ou à la multiplicité des voyages? Certes la science, les experts sont au cœur du débat écologique, mais il faut aussi un peu de psychologie sociale pour accélérer une conversion des consciences. Nous ne pouvons nous contenter d’aligner les chiffres désespérants, il faut donner envie de changer de modèle.
Un vieux conflit traverse le mouvement écologique entre tenants de la radicalité et adeptes du pragmatisme. De quel côté vous situez-vous?
Je suis assez allergique aux procès en radicalité permanents qui se tiennent dans le milieu écolo, où on s’accuse en permanence de compromissions: «Je suis plus vert que toi!» C’est du narcissisme, et une façon de ne pas penser réellement la question du pouvoir, de l’entrée dans le réel. Être une minorité active est important, mais ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’un grand soir, c’est de constituer une majorité. Voilà la question politique qui doit guider l’engagement aujourd’hui. Un autre problème vient du fait que, dans le domaine de l’écologie, les ONG sont plus puissantes que les partis, et qu’elles se définissent comme apolitiques, ce qui rend souvent complexe l’investissement politique. Or l’urgence appelle à une transformation profonde du jeu classique des acteurs. Il ne s’agit plus tant de camper sur des positions que de structurer des logiques d’action efficaces tout en plaçant l’écologie au fondement des projets politiques, des politiques publiques et de notre organisation économique et sociale.
«Les mouvements écologiques sont puissants au niveau local et européen, mais manquent de force au niveau national et mondial»
Néanmoins, je crois que Nicolas Hulot a eu raison de démissionner de sa fonction de ministre de l’Écologie, où il était en incapacité d’agir, et de dénoncer la «politique des petits pas». Ce qu’il faut, c’est une politique des grands pas! Des compromis sont nécessaires bien sûr - c’est l’essence même de la politique - mais des compromis historiques et inédits.
En France, le vert se teinte souvent de rouge, et on accepte mal une écologie qui ne soit pas d’extrême gauche…
Cessons l’opposition binaire entre «capitalistes» et «anticapitalistes». Il faut regarder une par une les propositions économiques. La question aujourd’hui, c’est davantage l’élargissement de l’écologie que sa pureté idéologique. Il faut nouer des alliances avec la société civile, y compris avec des chefs d’entreprise de bonne volonté, ne pas être sectaire. Il faudrait se tourner vers le modèle des Verts allemands qui ont réussi cette transition politique, même si c’est le système fédéral en vigueur outre-Rhin qui leur a permis de réaliser des alliances dans des Länder.
Justement: quel est le bon échelon pour l’action écologique?
Les mouvements écologiques sont puissants au niveau local et européen, mais manquent de force au niveau national et mondial. La culture historique des Verts est parfois hostile au cadre national, mais je crois pourtant qu’il est essentiel, car c’est le plus démocratique. Or, aujourd’hui, en France, ce cadre national résiste à l’action écologique. On le voit avec la valse permanente des ministres et les politiques cyclothymiques qui sont menées. Tout l’enjeu est d’arriver à porter l’exigence de cohérence sans sombrer dans l’idéologie.

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