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03/01/2018

Le gouvernement sur le terrain glissant de la réforme de l'État

 
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Le gouvernement engage mercredi une réflexion sur la réforme de l'action publique afin d'en réduire la dépense. Mais cette ambition semble ne pas prendre en compte la réalité de cette dépense, que plusieurs études placent dans « la moyenne des pays développés ».

À l’issue du premier conseil des ministres de 2018, le gouvernement tiendra un séminaire qui sera largement consacré à un des projets portés par Emmanuel Macron : la réforme de l’État. Le 13 octobre 2017, un Comité action publique 2022 (« CAP 2022 »), principalement constitué de représentants du secteur privé (lire aussi Le gouvernement privatise le futur des services publics), avait été instauré par le premier ministre pour préparer cette réforme structurelle. Il doit rendre son rapport en mars prochain, mais le gouvernement entend d’ores et déjà avancer sur ce terrain.
La démarche gouvernementale s’appuie sur une démarche a priori de bon sens : celle de rendre l’action publique plus efficace, ce qui ne peut faire l’objet que d’un consensus. Mais, en réalité, cette démarche est avant tout comptable. Il s’agit de remplir les objectifs ambitieux de réduction des déficits et de la dépense publique affichés dans la loi de programmation 2018-2022 des finances votée avec le projet de loi en fin d’année dernière. Ce texte prévoit de ramener les dépenses publiques (hors crédit d’impôts) de 54,7 % du PIB en 2017 à 50,9 % en 2022. Une baisse très marquée rendue nécessaire par le financement du taux de prélèvement obligatoire de 1,1 point durant la même période et qui passera par une décélération de la croissance des dépenses en volume (donc hors effet de l’inflation) sur les deux dernières années du quinquennat : + 0,2 % en 2021 et + 0,1 % en 2022, contre + 0,5 % cette année, par exemple.
Bref, cette réforme de l’État pourrait bien n’être que ce qu’elle est souvent : une justification d’une austérité future par la mise en avant de chiffres « chocs » comme le fameux « 57 % du PIB de dépenses publiques », répété à l’envi pour faire accroire que rien n’a été fait en France sur le sujet. Or ce n'est pas le cas. Les précédents gouvernements ont tenté eux aussi de contrôler et de freiner la croissance de la dépense publique. La Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), en 2001, en était une qui, en théorie, renforçait la responsabilité du respect des budgets. Elle a été suivi, au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy, par la Révision générale des politiques publiques (RGPP) qui s’est rapidement résumée au non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux.
Évolution de la dépenses publiques en % du PIB © France Stratégie Évolution de la dépenses publiques en % du PIB © France Stratégie
Ces politiques n’ont-elles eu aucun impact ? Si l’on regarde la seule évolution du rapport entre la dépense comptable des administrations publiques sur le PIB, on peut le croire. Voilà dix ans, ce ratio est passé de 52,2 % à 56,4 %. En réalité, une grande partie de cette hausse s’explique par l’affaiblissement de la croissance. C’est la crise de 2009 qui a fait passer subitement, durant cette année, ce ratio au-dessus de 56 %, où il est encore. La France a fait jouer les « stabilisateurs automatiques », avec succès, puisque la contraction du PIB durant cette année 2009 a été nettement plus faible qu’ailleurs (- 2,9 % en France en volume contre - 5,6 % en Allemagne). Néanmoins, la croissance a été ensuite assez faible, empêchant la baisse rapide de ce ratio. Mais depuis 2009, il reste relativement stable. Il a dépassé de peu, en 2014, 57 % du PIB (à 57,1 %), mais est retombé en 2017 à 56,4 %, soit sous son niveau de 2012.
Dans le détail, on prend conscience qu’il n’y a pas en France d’État inconscient et irresponsable. Une étude de France Stratégie, le laboratoire de pensée de Matignon, de décembre 2017, est venue le rappeler. Certes, la France figure bien parmi les pays ayant un ratio de dépenses publiques élevé. Si l’on observe toutefois les évolutions, elle n’est pas forcément un mauvais élève. France Stratégie insiste ainsi sur le fait que « la croissance des dépenses publiques par habitant de la France se situe dans la moyenne des pays développés ». Il n’y a donc pas de dérapage ou de « gabegie ». L’emploi public a largement contribué à cet effort puisque, souligne l’étude, « la part des rémunérations publiques dans le PIB est stable en France depuis 2000 », autrement dit il n’y a pas eu, comme on l’entend souvent, de gonflement de l’emploi public pour compenser le chômage. Au contraire, le gel de l’indice, mis en pause par le gouvernement précédent, mais relancé par l’actuel exécutif, et la RGPP sous Nicolas Sarkozy ont conduit à une baisse de l’emploi public. France Stratégie ajoute que « le niveau des rémunérations par emploi public de la France apparaît relativement modéré en comparaison internationale ».
Evolution du nombre d'emploi des administrations publiques pour 1000 habitants © France Stratégie Evolution du nombre d'emploi des administrations publiques pour 1000 habitants © France Stratégie
Certes, avec 83 emplois publics pour 1 000 habitants, il est relativement élevé, mais il demeure inférieur à des pays présentés comme des « modèles » par le gouvernement : le Canada ou la Suède. Il est intéressant de noter que le recul de l’emploi public suédois s’est effectué à partir d’un niveau beaucoup plus élevé que celui de la France (près de 180 pour 1 000 habitants en 1985 contre 138 aujourd’hui). La réduction de l’emploi public de 150 000 postes, affichée par le candidat Macron et confirmée par le président élu, ne pourra donc se faire qu’au prix d’une détérioration ou d’une privatisation des services publics. C’est le chemin suivi par le Royaume-Uni au cours des trente dernières années, mais le prix à payer a été lourd : les inégalités territoriales ont explosé, comme le confirmait une étude récente de l’ONS, le bureau britannique des statistiques. Une situation qui, associée à une dégradation des services publics, n’est pas étrangère au vote en faveur du Brexit outre-Manche.
Mais le gouvernement veut néanmoins améliorer l’efficacité de l’État, estimant que les administrations dépensent sans doute trop pour leur fonctionnement. Or, là aussi, cette vision est simpliste et réductrice. Depuis dix ans, la croissance de la consommation intermédiaire des administrations a été de 0,2 %, soit autant que la Suède (0,2 %), moins que celle de l’Allemagne (+ 0,7 %) et que celle de la moyenne des pays de l’OCDE (+ 0,3 %). Le niveau de cette consommation est inférieur à celui des États-Unis, par exemple. Il n’y a donc pas là de dissipation de l’argent public. On notera également le recul de l’investissement public (- 0,6 %, soit deux fois plus que la moyenne de l’OCDE). Là encore, on voit mal comment faire passer l’État français pour un Léviathan irresponsable.

Dépenses modérées en termes d’assurance chômage ou d’assurance maladie

Par conséquent, faire croire que par la compression de l’emploi public ou par la « modernisation » des services publics, on pourrait réduire notablement le ratio de dépense publique sur le PIB relève principalement d’un argumentaire populiste libéral consistant à faire du fonctionnaire et de l’État un bouc émissaire des problèmes du pays. En réalité, les précédentes réformes de l’État ont déjà porté leurs fruits et aller plus loin ne peut se faire qu’au détriment de la qualité des services publics et du niveau de vie des fonctionnaires (population déjà ciblée par le gouvernement).
L’écart entre la France et les autres grands États réside principalement dans les transferts sociaux. Lesquels ont beaucoup crû avec la crise, comme c’est là leur fonction. La France n’est pas de ce point de vue une exception. France Stratégie considère que notre pays est moins « administré » que « socialisé », autrement dit qu’il partage davantage les risques. Le niveau de dépenses sociales atteint près de 25 %, soit le deuxième plus haut niveau de l’UE, après la Finlande, mais sept points de plus que l’Allemagne. Pour autant, la France n’est pas outrageusement « généreuse » : la dépense sociale moyenne par habitant est de 7 700 euros, un chiffre dans la moyenne européenne. Et l’essentiel de la dépense sociale va à la vieillesse, un poste qui, pour l’instant, est en excédent (en déficit modéré en ajoutant le fonds de solidarité vieillesse) en 2017.
Évolution de la dépense publique par fonction. © France Stratégie Évolution de la dépense publique par fonction. © France Stratégie
En revanche, la France affiche des dépenses modérées en comparaison des autres pays développés en termes d’assurance chômage ou d’assurance maladie. On constate même que la France est plutôt en queue de peloton avec 14 000 euros par chômeur contre 25 000 euros en Allemagne, par exemple. C’est dire si la volonté du gouvernement de « contrôler » les chômeurs semble avant tout relever de l’effet d’annonce…
Se concentrer comme le fait le gouvernement sur le seul ratio des dépenses publiques sur le PIB et croire qu’on peut le faire baisser en agissant sur le seul numérateur de ce ratio serait refuser de prendre en compte la complexité et la réalité de la situation française. Il est difficile de baisser les dépenses publiques en France, parce que ces dernières ne sont tout simplement pas trop élevées. Elles correspondent à un certain modèle économique plutôt stable que dynamique et limitant le creusement des inégalités. Un récent rapport sur les inégalités de plusieurs économistes spécialisés sur le sujet a souligné l’exception française dans ce domaine.
Part des revenus des 1 % les plus fortunés dans le total © Wealth & Income Inequality Database Part des revenus des 1 % les plus fortunés dans le total © Wealth & Income Inequality Database
On peut certes critiquer ce modèle, mais il faut alors être clair : faire de la baisse de la dépense publique la priorité se paie par un creusement des inégalités, une vulnérabilité plus forte en cas de crise et des tensions sociales croissantes. Celui qui souhaitera changer ce modèle ne pourra faire l’impasse sur la privatisation de la protection sociale et la réduction de la qualité des services publics. Il ne peut être question de préserver le « modèle français » par une politique de réduction de la dépense de l’État. Et, en tout état de cause,  il est vain de penser réduire cette dépense par une simple modernisation des administrations puisque ces dernières ne semblent pas plus inefficaces que beaucoup d’autres.
Dépenses de santé comparées © France Stratégie Dépenses de santé comparées © France Stratégie
Le gouvernement le sait puisque le premier ministre Édouard Philippe a dû renoncer à ses rodomontades de début de mandat. Lors de son discours de politique générale, début juillet, il claironnait ainsi vouloir stabiliser en volume la dépense publique et réduire de 80 milliards d’euros celle-ci sur le quinquennat. Dans le projet de loi de finances 2018 présenté deux mois plus tard, il s’est contenté d’infléchir la croissance des dépenses publiques à 0,5 % contre 0,8 % en 2017, ce qui représente déjà un effort considérable.
Baisser les dépenses publiques est un exercice périlleux et difficile. Si la France affiche un déficit public encore important, elle le doit aussi à des choix politiques discutables, et notamment l’importance des baisses de cotisation et des crédits d’impôts. Ces derniers, à commencer par le CICE, représentent pas moins de deux points de PIB de dépenses publiques (ce qui permet de relativiser les discours alarmistes sur les 57 % du PIB de dépenses publiques), pour un effet sur l’emploi extrêmement faible. Les bonus fiscaux faits dans le projet de loi de finances 2018 au capital exercent une pression supplémentaire sur les dépenses publiques, sans, là encore, fournir de résultats convaincants en termes d’emploi.
Dépense publique par chômeur © France Stratégie Dépense publique par chômeur © France Stratégie
Le non-dit de la politique du gouvernement est bien que sa politique de réforme n’est pas capable, de son aveu même (le gouvernement ne prévoit aucune accélération de la croissance d’ici à 2022), de renforcer la croissance potentielle de la France pour assurer un meilleur financement des dépenses publiques. Or c’est bien par la croissance que se rétablissent les finances publiques, pas par des contractions de dépenses. Au contraire, comme l’ont montré les économistes Lawrence Summers et Antonio Fatas en 2015, l’austérité budgétaire réduit durablement la croissance à long terme, balayant l’argument classique du « mal nécessaire » pour des gains « futurs ».
Le gouvernement est donc sur un terrain glissant. Il doit faire la part des choses entre l’exigence de baisse des dépenses de la partie droite de son électorat et l’exigence sociale de sa partie gauche. Certains observateurs estiment qu’il a établi les « réformes de droite », comme celles du marché du travail ou de la fiscalité du capital, au début du quinquennat pour pouvoir infléchir sa politique à gauche en fin de quinquennat. Mais alors, sauf accélération de la croissance, il devra abandonner son ambition de réduction de la dépense publique. Si ce projet de réforme de l’action publique débouche sur des privatisations, sur des contractions de crédit public ou sur des réductions de postes de fonctionnaires, elles devront porter principalement sur les années 2020-2022. Il sera alors très difficile pour l’exécutif de rééquilibrer son action avant le scrutin présidentiel de 2022.
  1. Le grand mythe de la baisse massive du nombre de fonctionnaires | Xerfi Canal
  2. l’économiste Christophe Ramaux versus Eric Brunet: "Il n’y a pas de lien entre l’emploi public et la dette publique"
  3. Débat Les experts Nicolas Doze 16/11/2017

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