04/07/2020

Cette semaine le Point sur Écologie : Les clowns, les vrais spécialistes et les autres…


Alors que l’environnement devient une cause centrale – et c’est heureux –, « Le Point » a enquêté pour distinguer le vrai du faux et l’urgent du délirant.

Vert. Le 29 juin, jardins de l’Élysée, Paris. Emmanuel Macron répond aux 150 membres de la Convention citoyenne sur le climat.
C’était bien avant la vague verte aux municipales et le serment écologique d’Emmanuel Macron. Nous étions confinés depuis quelques jours à peine, quand son vibrant appel a fait trembler le silence. « La nature nous envoie un message, assénait Nicolas Hulot, en parka sombre sous le ciel gris. C’est un ultimatum ! » Dans son sillage, des dizaines d’écologistes, d’anticapitalistes, de collapsologues vont occuper les plateaux de télévision, suivis de stars en mal de causes, apôtres de la bien-pensance. « La planète se venge ! » entendront marteler, pendant des semaines, des Français légitimement angoissés par une pandémie majeure. Si peu étayée soit-elle, l’affirmation avait un côté rassurant, en ce qu’elle offrait une explication simple, familière, à un phénomène extraordinairement complexe, que les chercheurs mettront probablement des années à rendre intelligible.
L’« effet Covid-19 » – comme l’« effet papillon » du mathématicien Edward Lorenz – imbrique une foule de systèmes dynamiques difficilement prévisibles (démographie, urbanisation, économie, climat, transports, régimes politiques des pays impliqués, tourisme…), dont chaque déterminant a concouru à ce que la rencontre, quelque part en Chine, d’une chauve-souris et d’un être humain aboutisse, quelques mois plus tard, au confinement de 4,5 milliards d’individus et à une rupture de stock de farine au centre Leclerc d’Issoudun. Vertigineuse perspective ! Dans l’émotion ambiante, « le risque de récupération politique était évident », a compris d’emblée Jean-Paul Krivine, président de l’Association française pour l’information scientifique. « Parce que l’argument de la nature est subtil et qu’on ne peut le balayer d’un revers de main. Plutôt que d’analyser rationnellement l’état de nos connaissances, chacun a voulu voir dans cette pandémie la confirmation de ses propres convictions : écologiques, religieuses, politiques… » Et alors que la planète s’arrêtait brusquement de fonctionner, fermant ses usines, condamnant les transports, et que les émissions de gaz à effet de serre plongeaient, beaucoup de « décroissants », anticapitalistes ou partisans d’une sobriété imposée, n’ont pas su résister à la tentation d’appuyer le mouvement. « La planète se venge ! » Mais de quoi, exactement ? 



137 000  hectares de terres (surtout agricoles) sont artificialisées chaque année en France.


Virus et pesticides. Le mouvement Nous voulons des coquelicots, qui milite pour l’abolition des pesticides de synthèse, est le premier à dégainer, le 19 mars, en déclarant voir « sans surprise, mais avec dégoût, des parallèles évidents entre la crise du coronavirus et l’expansion sans fin des pesticides ». L’action s’organise : un premier pic de pollution printanier, observé en mars, est attribué aux épandages agricoles. Puis une tribune publiée dans Le Monde rencontre un formidable écho médiatique : « Le Covid-19 peut voyager sur des microparticules, dont celles de pesticides » y affirme le mouvement, appelant à un « moratoire immédiat sur leursépandages ». Les agriculteurs, alors, n’épandent pas de pesticides mais des engrais azotés, dont l’ammoniac réagit chimiquement avec le dioxyde d’azote du trafic, formant un « aérosol secondaire » de particules fines. 
Toutefois, les experts sont dubitatifs : si 34 % des microparticules observées lors du pic de pollution du 28 mars provenaient de l’agriculture, le trafic routier étant interrompu, « 66 % provenaient d’autres sources, notamment du chauffage au bois et de l’industrie, poussés par un vent de nord-est de Pologne et d’Allemagne », établiront les chercheurs du centre de recherche ITK. Et surtout, « aucune étude n’a jamais prouvé que les particules fines pouvaient transporter le virus », s’agace Daniel Camus, infectiologue à l’Institut Pasteur de Lille. « Ceux qui l’affirment se fondent sur une étude italienne aux données contestables et sur une étude américaine qui analyse des expositions de long terme, sur une quinzaine d’années. » La piste sera d’ailleurs écartée : « Une gouttelette formée de 1 000 particules virales va très rapidement se diluer dans l’air. La quantité de virus nécessaire pour créer l’infection ne sera pas atteinte. » Aujourd’hui, le consensus scientifique est établi : si l’on retrouve bien de l’ADN viral en suspension dans l’air, c’est en trop faible quantité pour qu’il soit contaminant, sauf dans des cas particuliers de locaux exigus et non ventilés. Saisi, le Conseil d’État rejettera logiquement les recours du mouvement des Coquelicots, mais, dans l’opinion, le doute est installé. 


25 %des espèces d’animaux et de végétaux qui sont évaluées dans le monde sont menacées (Ipbs).


Élevage intensif. Rapidement, un autre coupable est visé, cible habituelle de l’écologie politique : l’élevage intensif. Si Jane Goodall, l’illustre éthologue, le dit, comment en douter ? Quand la chercheuse britannique, mondialement réputée pour le travail d’une vie sur les primates, implore l’humanité d’« abandonner l’élevage industriel », les experts des zoonoses sont perplexes. De fait : si 70 % des maladies qui apparaissent dans le monde de nos jours sont d’origine animale, l’écrasante majorité provient d’espèces sauvages. En dehors du virus Nipah – identifié pour la première fois en 1998 chez des éleveurs de porcs de Malaisie, dont les bêtes avaient été exposées à des déjections de chauve-souris –, on peine à trouver des zoonoses qui émanent directement d’élevages industriels. « Les élevages intensifs peuvent servir d’amplificateurs dans des pays où ils sont mal tenus, mais on a assez peu d’exemples où ils sont à l’origine d’une émergence », précise Gilles Salvat, directeur de la santé et du bien-être animal à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
Au contraire, ils peuvent constituer une protection contre les pandémies : « Dans des régions très anthropisées comme la France, l’évolution s’est faite après des siècles d’exploitation agro-paysanne. L’élevage industriel, de taille modeste, est aussi une manière de confiner les animaux et de les protéger des échanges de virus avec des espèces sauvages. Le problème, chez nous, se pose plutôt avec les animaux élevés en plein air : comment éviter tout contact avec la faune sauvage ? » À l’inverse, dans les pays en développement qui exploitent des élevages « monstrueux, dont les employés ont une basse-cour à la maison », le risque de pandémie est réel « si des normes sanitaires drastiques ne sont pas respectées ». Des normes sanitaires en vigueur dans les marchés aux animaux vivants d’Asie, il en sera pourtant peu question dans le débat public. Comme si la planète se vengeait avant tout de nos peurs, y compris les plus irrationnelles.



Les émissions mondiales de CO2 ont baissé de 8 % pendant la crise du Covid-19 (IEA).


Confusion. Une conférence donnée en 2019 par l’égérie anti-OGM Vandana Shiva trouve ainsi, au plus fort de la crise, une audience nouvelle : « Selon de nombreux scientifiques, nous nourrissons nos animaux de soja OGM et il se pourrait qu’un transfert de gène horizontal se produise. » Est-il besoin de le préciser ? L’affirmation ne reposant sur aucune base scientifique, on n’a pas retrouvé trace des sources de la militante indienne. Le consensus scientifique concernant les OGM, après quarante ans d’utilisation, n’a pas bougé : ils sont sans danger pour la santé animale et humaine. Il n’empêche : les 150 citoyens de la Convention citoyenne pour le climat, travaillant sur les moyens de réduire de 40 % les gaz à effet de serre, jugeront bon de préciser, dans leur rapport remis au gouvernement le 21 juin, que dans leur « monde d’après », la culture des OGM restera interdite – en dépit des avantages que leur reconnaît le Giec pour préserver la biodiversité, en réduisant notamment l’usage de pesticides. 
« La plupart des sujets abordés pendant la crise n’avaient que peu de rapport avec elle, mais les écologistes en ont profité pour pousser leurs thèmes habituels et occuper le terrain médiatique, jouant de cette confusion entre catastrophes sanitaire et climatique », souligne le politologue Daniel Boy, spécialiste de l’écologie politique. Vengeance de la nature ou non, les conséquences visibles du réchauffement climatique nous rappellent quotidiennement que la planète souffre des assauts répétés que lui font subir les activités d’humains de plus en plus nombreux, entraînés dans un tourbillon d’échanges et de mouvements permanents. Pour Yannick Jadot, relancer l’économie comme avant serait une « faute criminelle ». Son discours s’est facilement adapté à cette crise. Le chef de file d’EELV ira jusqu’à exiger un « Grenelle du monde d’après », la mondialisation étant désignée comme fossoyeuse évidente de la biodiversité. 
Nouvelle voie. Emmanuel Macron et Édouard Philippe, le 29 juin, dans les jardins de l’Élysée.
Croissance de la population. Si les causes de l’émergence de nouveaux virus sont multiples, « la première paraît fermement identifiée : les modifications de l’usage des sols et des procédés qui y sont liés », rappelle Jean-François Guégan, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique. Si l’homme a toujours contracté des zoonoses, le boom démographique et l’explosion des échanges ont entraîné un impressionnant changement d’échelle ces dernières décennies. « Ces nouveaux virus apparaissent dans la zone intertropicale – Asie, Afrique, Amérique du Sud, Moyen-Orient… –, qui a subi des bouleversements majeurs ces cinquante dernières années, précise Gilles Salvat. La croissance de la population a conduit à détruire des forêts primaires pour cultiver ou construire des villes. Pour se nourrir, on a chassé la viande de brousse. Les trafics d’animaux sauvages ont augmenté. Quand on casse un système complexe dans une forêt primaire, on va forcément modifier les relations entre les espèces et on augmente le risque qu’un virus passe à l’homme. Ce n’est pas nouveau, mais les premiers foyers d’Ebola étaient circonscrits aux populations autochtones. Puis les chasseurs sont allés vendre leurs viandes dans les villes… » 
Le mouvement d’urbanisation entamé dans les pays émergents étant loin d’être achevé, il s’accompagnera fatalement de l’apparition de nouveaux virus. Quels enseignements tirer de cette réalité ? Pour Jean-François Guégan, la réponse est plurielle : « Il faut éviter de construire des grandes villes à proximité de biomes naturels, lutter contre le trafic de viande de brousse, cesser les pratiques intensives d’élevage et de culture d’huile de palme et de soja, qui provoquent la déforestation… » Des pistes largement reprises par les gouvernements occidentaux : le Green Deal, adopté récemment par la Commission européenne, prévoit de convertir au moins 30 % des terres et des mers d’Europe en zones protégées… 

Terres sous cloche. D’autres spécialistes, pourtant, dénoncent une vision « néocoloniale » du problème. « Il y a dans ces discours un relent de punition “divine”, observe Christian Lévêque, directeur de recherche émérite à l’Institut de recherche pour le développement. Cela reflète une vision créationniste de la nature, héritée du XIXe siècle, où l’on pensait qu’elle avait été créée par Dieu. Les poètes pique-niquant au bord de l’eau parlaient de protéger les sites naturels, quand en Sologne les gens crevaient de la maladie des “ventres jaunes”… C’étaient des années de misère. » Il s’emporte : « Les grandes ONG occidentales proposent exactement la même chose : de mettre les terres sous cloche et d’en évincer leurs habitants, qui crèveront de faim en regardant passer les oiseaux ! (…) La première cause de la déforestation, des atteintes à la biodiversité, des pandémies, ce ne sont pas le mode de vie capitaliste ou les multinationales : c’est la pauvreté ! » Une analyse partagée par la géographe et ex-présidente d’Action contre la faim, Sylvie Brunel, qui fustige l’ambivalence des discours des plus grandes ONG, « intimement liées aux réseaux d’affaires américains qui les financent. Depuis le sommet de la Terre de Rio en 1992, la défense de l’environnement a remplacé la lutte contre la pauvreté. Parce qu’en réalité, les Occidentaux sont terrifiés par cette masse de pauvres des pays du Sud, qui aspirent à atteindre le même niveau de vie que nous ».

Pauvreté. Le monde d’après, tel que l’imaginent les signataires de tribunes vantant les vertus de la permaculture, les 150 membres de la Convention citoyenne qui ont rendu une feuille de route climatique axée sur la décroissance, ou même Emmanuel Macron, qui a endossé la quasi-totalité de leurs mesures en faveur du climat et de la biodiversité, sera-t-il réellement vertueux ? « C’est l’inverse, tranche Sylvie Brunel. Pendant la crise, les gens se sont aveuglés en découvrant les vertus des circuits courts. Personne n’y a acheté de produits vitaux, et c’est sur les steaks hachés que les gens se sont rués dans les supermarchés, pas sur le bio. En France, 9 millions de gens n’ont pas de quoi s’offrir trois repas corrects par jour ! » À l’échelle mondiale, plaide-t-elle, « avec 9 milliards d’êtres humains à nourrir, seule l’intensification de l’agriculture préservera la biodiversité : quand vous vous épuisez à produire une tonne de mil à l’hectare plutôt que 10 tonnes de maïs, forcément, il faut plus de terres. »

Un discours pragmatique, axé sur la recherche de solutions technologiques acceptables par le plus grand nombre, qui peine à être entendu au-delà des cercles de spécialistes. « Le choix de décroissance n’est pas une réponse », car notre « modèle social » serait remis en question, a lancé le président, lundi, aux conventionnaires, les invitant à retravailler leurs propositions dans des groupes de travail, avec les parlementaires. Emmanuel Macron, qui avait jusqu’à présent calqué son programme écologique sur quelques injonctions simples des ONG (réduction du nucléaire, fût-il une énergie bas carbone, développement du bio, sobriété…), se trouve à un tournant, alors que la crise économique impose de définir des priorités d’action et d’investissement : tracer sa propre voie, ou continuer sur celle tracée par d’autres dans les années 1970.

3 commentaires:

  1. "Seule l’intensification de l’agriculture préservera la biodiversité." Lire ça en 2020... Faut-il rappeler qu'agriculture intensive signifie monoculture, soit précisément le contraire de la biodiversité ? Faut-il rappeler que la monoculture de céréales est très gourmande en ressources (terres, eau, pétrole, ...) et qu'elle nourrit surtout du bétail, au contraire de la polyculture de légumes et légumineuses qui produit beaucoup plus avec plus de bras, mais moins de terres et moins de pétrole ? "Seule l’intensification de l’agriculture préservera la biodiversité." Faut oser tout de même. On remarquera la stratégie générale de l'article qui réfute longuement le détail des idées préconçues du militantisme écologique tout en confirmant - très rapidement cette fois - les idées principales de ce même militantisme. Comprenez : les écolos sont des clowns, même s'ils ont raison sur les questions principales que, par souci de lisibilité, nous ne traiterons pas ici en détail. On remarquera également le recours à la faim dans le monde et à la misère, priorités jugées plus importantes que la conservation de notre planète..., ce qui permet un décalage de l'axe de l'article. Après une réfutation du lien entre agriculture intensive et destruction de la biodiversité, il suffit en effet de dire que c'est la pauvreté qui détruit la biodiversité. Donc l'agriculture intensive protège la biodiversité. Logique non ? L'article nous rassure heureusement sur la pertinence de notre modèle économique et culpabilise pianissimo les ménages qui achètent des steaks hachés et leur désintérêt pour les pauvres. En clair, les ménages ont tort, mais le système a raison, qui les pousse à acheter des steaks. C'est même ce système, dont on dit qu'il détruit le monde, que les spécialistes préconisent pour le sauver. Il n'y a qu'un seul spécialiste cité dans ce sens au moyen d'une citation décontextualisée. C'est plutôt habile, je dois le reconnaître. Cependant, je remarque que la conclusion de l'article qui, par prudence, se trouve dans cette citation de Sylvie Brunel, argument d'autorité étayée par la lutte contre la faim, impératif moral que quiconque dédaignerait serait évidemment monstrueux, n'est étayée que par le jugement explicite de l'auteur de l'article : "Un discours pragmatique, axé sur la recherche de solutions technologiques acceptables par le plus grand nombre, qui peine à être entendu au-delà des cercles de spécialistes" ; et par le refus du président d'envisager la décroissance. À ce stade, je ne sais trop si l'article a été écrit trop vite ou s'il est véritablement malhonnête. Je plaide en faveur de la présomption d'innocence, mais je plaide également pour que les journalistes cessent de prendre leurs lecteurs pour des cons.

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  2. « Seule l’intensification de l’agriculture préservera la biodiversité. » Lire ça en 2020... Faut-il rappeler qu'agriculture intensive signifie monoculture céréalière, soit précisément le contraire de la biodiversité ? Faut-il rappeler que la monoculture céréalière est très gourmande en ressources (terres, eau, pétrole, ...) et qu'elle nourrit surtout du bétail, au contraire de la polyculture de fruits et légumes, laquelle produit beaucoup plus, avec plus de bras, il est vrai (ne sommes-nous pas en période de chômage ?), mais surtout avec moins de surface et moins de pollution ? « Seule l’intensification de l’agriculture préservera la biodiversité. » Faut oser tout de même.

    Remarquons la stratégie générale de l'article qui réfute longuement le détail des idées préconçues du militantisme écologique tout en confirmant – très rapidement cette fois – les idées principales de ce même militantisme. Comprenez : les écolos sont des clowns, même s'ils ont raison sur les questions essentielles qui, par souci de lisibilité, ne seront pas traitées ici en détail… Remarquons également le recours à la faim dans le monde et à la misère, priorités jugées plus importantes que la conservation de notre planète… (faut-il rire ou pleurer ?) Cet escamotage permet un décalage de l'axe de l'article. Après une réfutation du lien entre agriculture intensive et destruction de la biodiversité, il suffit en effet de dire que c'est la pauvreté qui détruit la biodiversité. Donc l'agriculture intensive protège la biodiversité en réduisant la pauvreté. Logique non ? Il est vrai que, depuis que nous pratiquons une agriculture intensive, la biodiversité se porte le mieux du monde… Il est vrai aussi que la paupérisation de la paysannerie n’est en rien liée à la concurrence de l’agriculture intensive…

    L'article nous rassure heureusement sur la pertinence de notre modèle de production agricole et culpabilise pianissimo les ménages qui achètent des steaks hachés et fustige leur désintérêt pour les pauvres. En clair, les ménages ont tort, mais le système a raison, qui les pousse à acheter des steaks. C'est même ce système, dont on dit qu'il détruit le monde, que les spécialistes préconisent pour le sauver. Il n'y a d’ailleurs qu'un seul spécialiste cité dans ce sens au moyen d'une citation décontextualisée. Est-ce maladroit ou plutôt habile ? Remarquons que la conclusion de l'article (« Seule l’intensification de l’agriculture préservera la biodiversité. ») qui, par prudence, se trouve dans cette citation de Sylvie Brunel, argument d’autorité puisque tiré de l’ex-présidente d’Action contre la faim, la lutte contre la faim étant un impératif moral que quiconque dédaigne sera évidemment jugé monstrueux, n'est en réalité étayée que par le jugement explicite du journaliste : « Un discours pragmatique, axé sur la recherche de solutions technologiques acceptables par le plus grand nombre, qui peine à être entendu au-delà des cercles de spécialistes ».

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  3. Cette formule est un chef-d’oeuvre que n’eût pas renié Orwell pour son classique 1984. Prenons le temps d’y réfléchir un peu… « Un discours pragmatique », en quoi ? S’il n’est pragmatique que dans la mesure où il valide l’agriculture intensive, en ce qu’elle constitue le système concrètement en place à l’heure actuelle, on peut se demander si ce discours est véritablement constructif et donc s’il est pragmatique. Qu’est-ce que des « solutions technologiques acceptables » dans le futur, « par le plus grand nombre » s’il-vous-plaît, quand le plus grand nombre doute des solutions technologiques présentes, quand bon nombre d’entre nous doutent que la technologie soit susceptible de nous aider et quand certains se demandent si la technologie, qui a produit entre autres choses l’agriculture intensive, n’est pas justement l’origine du problème ? « Un discours […] qui peine à être entendu », nous dit-on ??? C’est pourtant le même discours répété depuis les années 1960… Cet article du Point, journal dont on sait qu’il ne véhicule que des idées profondément originales et prend toujours ses distances d’avec l’opinion des classes dirigeantes, veut nous faire croire que le discours dominant – celui des politiques, des technocrates, des journalistes et du grand capital – qui soutient que l’agriculture intensive est la seule solution raisonnable (« intensive » et « raisonnable »…) peine à être entendu… Décidément, les populations sont incorrigibles. Voilà des années qu’elles critiquent l’agriculture intensive et ne sont pas attentives aux spécialistes qui leur expliquent pourquoi c’est LA solution aux problèmes qu’elle semble elle-même causer. Ce discours éculé et lénifiant, auquel cet article participe, nous détourne systématiquement des sources de problèmes que le bon sens le plus élémentaire nous indique. Enfin, « Au-delà des cercles de spécialistes » ressemble à s’y méprendre à de l’hypocrisie tout en suggèrant que les gens sont des imbéciles.

    Ainsi, les écologistes n’ont pas tous raison donc ils ont tous tort. Les spécialistes ont tous raison, en voici un qui dit ce qui intéresse le journaliste. Les autres spécialistes ne peuvent être que d’accord avec lui, sans quoi les spécialistes n’auraient pas tous raison. Et ce qui est acceptable pour les écologistes ne l’est pas pour les spécialistes… CQFD, le journaliste peut écrire : « ce discours [ – « seule l’intensification de l’agriculture préservera la biodiversité » – …] peine à être entendu au-delà des cercles de spécialistes ». D’abord, ça donne envie d’être spécialiste… Ensuite, on se demande comment l’agriculture intensive peut se pratiquer depuis soixante ans, compte tenu des difficultés qu’elle éprouve à se faire valoir dans les médias…

    … Et auprès de nos politiques, car j’oubliais à dire que cette conclusion est aussi étayée par le refus de notre président actuel d'envisager la décroissance. C’est-à-dire que cette conclusion est idéologiquement capitaliste, qu’elle postule donc une croissance durable dans un monde fini et pourvu de ressources limitées. Aussi peut-on varier la formule à l’envie : seul le capitalisme peut sauver la planète, seul le capitalisme peut sauver le capitalisme, seul l’argent sauvera la planète et les gens qui vivent dessus (y compris les pauvres), puisque c’est bien de cela qu’il s’agit en fin de compte et de reconnaître que l’argent vaut mieux que la Nature ou l’humain, puisque en détruisant activement les deux, il finit en fait par les sauver de la misère. À ce stade, je n’ose affirmer que l’article soit malhonnête, même si cela ressemble à s’y méprendre à de la manipulation. Mais peut-être le journaliste est-il plutôt aveugle… Peut-être l’article a-t-il été écrit à la va-vite... Je plaide en faveur de la présomption d'innocence, mais je plaide également pour que les journalistes cessent de prendre leurs lecteurs pour des cons et qu’ils écrivent des articles de qualité sur des sujets aussi graves.

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