29/05/2020

Coronavirus : on a examiné à la loupe les arguments de Philippe Douste-Blazy pour défendre Didier Raoult

En voulant discréditer l'étude défavorable à la chloroquine publiée dans la revue médicale britannique "The Lancet", l'ancien ministre de la Santé a commis plusieurs erreurs d'interprétation et a même relayé une théorie du complot.

Avant The Lancet, trois autres revues médicales de renom, le Journal of the American Medical Association, le New England Journal of Medicine et le British Medical Journal, avaient déjà publié des travaux dont les conclusions étaient défavorables à ces molécules. Ces recherches ont conduit les autorités sanitaires à remiser ce remède au fond de l'armoire à pharmacie. Elles ont aussi apporté de l'eau au moulin des détracteurs de Didier Raoult, principal promoteur de l'hydroxychloroquine en France.
Parmi les soutiens du controversé professeur marseillais, il en est un en particulier qui fait entendre sa voix, à la télévision et sur les réseaux sociaux, pour prendre la défense de son champion, en attaquant l'étude de The Lancet : Philippe Douste-Blazy, ancien ministre de la Santé, professeur de médecine, cardiologue de formation et membre du conseil d'administration de l'IHU de Marseille. Mais dit-il vrai ou "fake" ? Franceinfo passe en revue ses arguments.

L'hydroxychloroquine aurait été donnée trop tardivement pour être efficace

Ce que dit Philippe Douste-Blazy. L'ancien ministre objecte que l'étude parue dans The Lancet n'analyse pas le "protocole Raoult". L'hydroxychloroquine aurait été donnée trop tardivement à des patients trop gravement atteints pour faire ses preuves, argumente l'homme politique sur Twitter. Et de trancher sur BFMTV : "Si vous donnez de l'hydroxychloroquine à des gens qui vont mourir, c'est sûr qu'ils vont mourir."
Ce qu'il en est vraiment. Philippe Douste-Blazy sous-entend que l'hydroxychloroquine est efficace lorsqu'elle est donnée assez tôt. Il défend là la méthode pronée par Didier Raoult. Le professeur a en effet choisi d'administrer de l'hydroxychloroquine associée à un antibiotique, l'azithromycine, à ses patients de l'IHU de Marseille dès les premiers symptômes.
Mais de très nombreux experts médicaux jugent au contraire que les travaux du professeur Raoult ne démontrent rien, car ils ne respectent pas les standards de méthodologie scientifique. Ils soulignent en particulier que Didier Raoult se refuse à mettre sur pied un groupe de contrôle, constitué de patients ne recevant pas de médicament ou un placebo. Ce biais méthodologique ne permet pas de comparer et donc de déterminer l'efficacité de son traitement.
Ils pointent aussi un autre travers de la méthode Raoult. Ils soulignent que l'IHU de Marseille a suivi ses patients pendant peu de temps et que ces derniers étaient plutôt peu symptomatiques et moins susceptibles de développer une forme grave de la maladie. Autant de facteurs rendant leur guérison bien plus probable. Par conséquent, "cette étude ne démontre absolument rienÇa n'apprend rien sur l'efficacité du traitement", juge sur franceinfo l'épidémiologiste Catherine Hill.
Pour démontrer définitivement l'efficacité ou l'inefficacité de la chloroquine et de l'hydroxychloroquine, il faudrait des essais dits "randomisés contrôlés", avec de larges groupes de patients, tirés au sort et répartis de manière aléatoire entre groupe sous traitement et groupe sous placebo. Cette méthode est considérée comme la plus solide. Les auteurs de l'étude publiée dans The Lancet demandent d'ailleurs une confirmation "urgente" de leurs observations avec ce type d'essais. Mais ils sont difficiles à mettre en place, comme le montre les laborieux débuts de l'essai européen Discovery.

Les patients sous hydroxychloroquine auraient été en moins bonne santé au début de l'étude

Ce que dit Philippe Douste-Blazy. Sur Twitter comme sur BFMTV, l'ancien ministre argue que la méthodologie de l'étude de The Lancet est "biaisée". Les groupes de malades étudiés "ne sont pas tout à fait comparables", critique-t-il. Selon lui, ceux à qui de l'hydroxychloroquine a été prescrite étaient dans un état "beaucoup plus grave" que ceux du groupe contrôle. Ils souffraient de "comorbidités", souligne-t-il, comme de l'hypertension artérielle, de la surcharge pondérale ou du diabète.
Ce qu'il en est vraiment. Les écarts pointés par Philippe Douste-Blazy entre les différents groupes étudiés sont réels mais en réalité assez faibles, comme le montre le tableau n°2 de la publication. L'hypertension concerne par exemple entre 30% et 28,9% des patients sous traitements à base de chloroquine ou d'hydroxychloroquine, contre 26,4% dans le groupe témoin. De même, le diabète touche entre 15,4% et 14,8% des patients traités à la chloroquine ou à l'hydroxychloroquine et 13,6% des personnes du groupe de contrôle.

Capture d\'écran d\'un tableau extrait d\'une étude sur la chloroquine et l\'hydroxychloroquine, parue dans la revue médicale britannique \"The Lancet\" le 22 mai 2020.
Capture d'écran d'un tableau extrait d'une étude sur la chloroquine et l'hydroxychloroquine, parue dans la revue médicale britannique "The Lancet" le 22 mai 2020. (THE LANCET)
Les auteurs précisent avoir évidemment pris en compte ces différences de profils entre les groupes. Ils expliquent avoir eu recours à un outil statistique éprouvé : le score de propension. Dans ce type d'étude, cette méthode permet de mesurer l'effet d'un traitement sur des groupes d'individus disparates, en tenant compte de variables dites confondantes, et d'éviter ainsi les biais d'analyse. Ici, le score de propension a été calculé à partir des facteurs suivants : l'âge, le sexe, le groupe ethnique, l'indice de masse corporelle et les comorbidités, entre autres.
Une fois appliqué ce score de propension, il apparaît que la mortalité est nettement inférieure dans le groupe témoin (9,3% des patients) par rapport au quatre groupes sous traitements à base de chloroquine ou hydroxychloroquine (de 16,4% à 23,8%). Les comorbidités ayant été intégrées comme potentiels facteurs confondants, il est donc faux de leur attribuer un tel écart de mortalité.

Les patients sous hydroxychloroquine auraient eu plus besoin d'oxygène au départ

Ce que dit Philippe Douste-Blazy. Sur Twitter et sur le plateau de BFMTV, l'ancien maire de Toulouse répète cet argument : "Vous avez 20% (…) des gens sous hydroxychloroquine qui ont besoin d'oxygène et dans le groupe contrôle c'est uniquement 7%." Et d'en conclure : "C'est totalement biaisé."
Ce qu'il en est vraiment. Philippe Douste-Blazy a en réalité mal lu l'étude. Il a interprété les besoins en oxygène des patients à la fin de l'étude comme ceux du début. Le tableau n°2 de la publication indique que seuls 7,7% des membres du groupe témoin ont nécessité une ventilation, contre 20 à 21,6% pour les malades traités par chloroquine ou hydroxychlororquine. C'est donc bien la preuve que l'état de santé de ces derniers s'est aggravé.
Au début de leur suivi, l'état de santé des malades était assez similaire, quels que soient les groupes. Un internaute, qui décrypte sur son compte Twitter les informations médicales, lui a d'ailleurs fait remarquer son erreur et Philippe Douste-Blazy l'a reconnue.

Les laboratoires pharmaceutiques pourraient dicter les conclusions des études scientifiques

Ce que dit Philippe Douste-Blazy. Au cours de son interview sur BFMTV (à partir de 3 minutes 40 dans la vidéo), Philippe Douste-Blazy évoque une intrigante "conférence Chatham House à Londres" qui a eu lieu "l'autre jour". Un événement soi-disant "top secret", "complètement à huis clos", "uniquement avec des experts"... "Personne ne peut enregistrer. Personne ne prend de photo", insiste-t-il. Cette réunion rassemblait "des responsables des revues scientifiques", poursuit-il. Mais en dépit de toutes ces précautions, son contenu "a fini par fuiter", rapporte-t-il.
Selon l'ancien ministre de la Santé, "le patron de The Lancet a dit : 'Maintenant on ne va plus pouvoir, au fond, si ça continue, publier des données de recherches cliniques, parce que les laboratoires pharmaceutiques sont tellement forts, financièrement, et arrivent à avoir de telles méthodologies pour nous faire accepter des papiers qui apparemment, méthodologiquement, sont parfaits, mais qui au fond, font dire ce qu’ils veulent'."
Ce qu'il en est vraiment. Un colloque a bien eu lieu à Londres, mais les 1er et 2 avril 2015, donc il y a cinq ans et non "l'autre jour". Il était organisé par l'Académie britannique des sciences médicales, le Conseil britannique pour la recherche médicale, celui pour la recherche en biotechnologie et sciences biologiques et le Wellcome Trust, une fondation caritative britannique tournée vers la médecine. Son thème était "la reproductibilité et la fiabilité des études biomédicales".
Une dizaine de jours plus tard, le 11 avril 2015, le rédacteur en chef de The Lancet, Richard Horton, s'est fait l'écho dans un éditorial des discussions qui s'y sont tenues. Il a précisé au passage que les participants s'étaient engagés à respecter la règle de Chatham House – très courante dans les rencontres et conférences internationales – selon laquelle les participants s'engagent à respecter la confidentialité de leurs échanges. Pas franchement une "fuite" donc. Et rien de "top secret" non plus.
"Ce colloque, écrit Richard Horton, a abordé l'un des problèmes les plus sensibles de la science aujourd'hui : l'idée que quelque chose a fondamentalement mal tourné avec l'une de nos plus grandes créations humaines. L'argument contre la science est simple : une grande partie de la littérature scientifique, peut-être la moitié, peut tout simplement être fausse."
Le patron du Lancet, dont le travail consiste justement à examiner les publications scientifiques avant de les imprimer, déplore "les études avec de petits échantillons, de minuscules effets, des analyses exploratoires invalides", mais aussi les "conflits d'intérêts flagrants" et l'"obsession de poursuivre des tendances à la mode" "Comme l'a dit un participant : 'Les mauvaises méthodes donnent de mauvais résultats'", écrit-il encore. Et de conclure, un brin amer après ce symposium : "La bonne nouvelle, c'est que la science commence à prendre très au sérieux certains de ses pires défauts. La mauvaise nouvelle, c'est que personne n'est prêt à faire le premier pas pour nettoyer le système."
Jamais dans son éditorial, le rédacteur en chef de The Lancet n'évoque un quelconque lobbying des laboratoires pharmaceutiques. Cette mention de "Big Pharma" apparaît dans l'interprétation qu'en fait l'auteur complotiste Frederick William Engdahl dans un texte publié sur le site New Eastern Outlook, comme l'a repéré l'Observatoire du conspirationnisme. Cette falsification des propos de Richard Horton est traduite en français par le site Stop Mensonges. Elle est ensuite reprise en 2016 par Egalité & Réconciliation d'Alain Soral, Agoravox ou encore le Criigen, l'association anti-OGM fondée par Corinne Lepage. Elle a refait surface le 23 mai dans le groupe Facebook intitulé "Didier Raoult Vs Coronavirus".

Source: France Info Benoît ZagdounFrance Télévisions

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