Gérard Canavese a monté son affaire de négoce de légumes avec sa famille à Aubagne, près de Marseille, il y a quarante-cinq ans. Les affaires marchaient bien en général, l’entreprise a grandi et s’est étendue à la production. En 2019, elle a réalisé un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros et comptait 410 salariés, 8 entrepôts et 120 camions.

Mais la crise du coronavirus a été un défi de trop. Le groupe Canavese a dû demander sa mise en redressement judiciaire il y a quelques semaines. Il se trouvait pourtant en voie de récupération après avoir laissé pas mal de plumes dans la production de bananes, où il employait parfois jusqu’à 2 500 personnes en Côte d’Ivoire, à cause de la faiblesse des cours mondiaux. Il s’était séparé de cette activité pour se concentrer sur l’approvisionnement des restaurants et des cantines – quand le confinement a été déclaré, le 17 mars

Des chaînes d’approvisionnement bouleversées

Le secteur agroalimentaire, qui constitue l’un des plus importants de l’économie française, est en crise. Comme ailleurs, les gens continuent à manger malgré le confinement, mais les chaînes d’approvisionnement ont changé. Les exportations sont en partie bloquées, on manque de main-d’œuvre et les restaurants n’achètent plus. Selon un sondage réalisé par l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), les entreprises françaises doivent actuellement se débrouiller avec en moyenne 20 % d’employés en moins. Soit les salariés sont en congé maladie, soit ils restent chez eux pour garder leurs enfants (ce qui est actuellement autorisé), soit ils usent de leur droit de retrait, c’est-à-dire ne vont pas travailler si l’employeur n’assure pas les conditions sanitaires requises.
Le taux d’absentéisme atteint même 40 % dans la région parisienne. Une grande partie des entreprises interrogées (40 %) se plaignent de manquer de fournitures, par exemple de matériel d’emballage et de matières premières. Elles sont 70 % à faire état d’une hausse des prix en raison de difficultés de logistique et de transport. Leur bilan en subit les conséquences : près de quatre cinquièmes des entreprises voient leur chiffre d’affaires reculer et plus d’un quart prévoient des pertes de revenus de plus de 50 %.

Tous les acteurs du secteur mobilisés

Pendant ce temps, le gouvernement et les représentants de la branche agroalimentaire soulignent qu’il n’y a aucune pénurie de denrées – ce qu’on peut constater tous les jours en allant faire ses courses. La chaîne d’approvisionnement des supermarchés fonctionne :
Dans notre branche, qui emploie deux millions de personnes, tous les acteurs sont extraordinairement mobilisés”, déclare Catherine Chapalain, présidente de l’Ania.
Les conflits habituels entre agriculteurs et grande distribution sont remis à plus tard, ajoute-t-elle.
Peu avant le début du confinement, les Français faisaient des stocks, mais la situation est revenue à la normale depuis. Le chiffre d’affaires des supermarchés augmente parce que les gens ne vont plus au restaurant. Certains établissements misent sur la livraison à domicile, mais la situation demeure tendue. Certaines coopératives de céréales maintiennent leurs prix par solidarité malgré l’augmentation de la demande. Ce n’est cependant pas le cas de tout le monde : certains transporteurs tentent de faire monter leurs prix en invoquant notamment les risques encourus par leurs employés.

Les produits frais boudés

Les entreprises appellent donc le gouvernement à leur procurer davantage de masques et de vêtements de protection. Le secteur le plus touché est la pêche. Les bateaux qui approvisionnaient les restaurants ne sortent plus. Et le rayon poissonnerie des supermarchés est souvent désert : les consommateurs évitent les produits à base de poisson. Il en va de même pour les rayons charcuterie et fromage. Inquiet de l’explosion de la consommation de produits de longue conservation, Didier Guillaume, le ministre de l’Agriculture, a donc lancé aux Français : “Il faut manger des produits frais”, c’est bon pour la santé.