20/04/2020

Covid19: les cliniques privées sont-elles toujours sous-utilisées ?


LA QUESTION. Il y a deux semaines encore, les acteurs de la santé reconnaissaient que les hôpitaux privés étaient sous-exploités au moment même où leurs voisins publics risquaient la surchauffe. En pleine expansion de l'épidémie, la classique rivalité entre public et privé resurgissait ainsi, comme c'est régulièrement le cas dans l'actualité médicale.
Les hôpitaux privés étaient les premiers à regretter de n'être pas suffisamment associés à la lutte contre le Covid-19. Les autorités publiques, quant à elles, reprochaient plus ou moins distinctement à ces derniers de renâcler à accueillir des malades. Qu'en est-il aujourd'hui ? Les cliniques privées sont-elles toujours sous-utilisées ou la situation s'est-elle améliorée ?
VÉRIFIONS. Au cœur de l'épidémie, l'un des principaux enjeux en matière de soins est le nombre de lits de réanimation, c'est-à-dire équipés de réanimateurs. Ces appareils, capables d'aider voire de suppléer la respiration humaine, sont devenus l'un des seuls moyens de traiter les cas les plus graves de Covid-19. Or, les hôpitaux privés comptent en France quelque 4000 lits de réanimation, selon l'évaluation fournie par la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP). Ce chiffre est très loin d'être négligeable puisque, avant l'épidémie, les hôpitaux publics en comptaient 5018, selon le ministère de la Santé (environ 8000 aujourd'hui, avec un objectif à atteindre de 14.500, selon le ministre Olivier Véran).
En nombre, le privé n'équivaut pas le public, mais s'en approche donc. Cette ressource est essentielle dans la mesure où le nombre de patients en réanimation ne cesse d'augmenter - même si cette augmentation ralentit - pour s'établir ce lundi à 7072. Les moyens des hôpitaux avant crise (5018) n'auraient donc pas permis de les prendre en charge, d'autant que les patients ne se répartissent pas de façon homogène sur le territoire, mais se concentrent dans certaines zones (Grand Est ou Île-de-France).
Or, face à cette situation, les cliniques privées ont été, dans un premier temps, sous-utilisées, ce qui a été regretté dès le 23 mars par la FHP. «Dans plusieurs régions y compris parmi les plus touchées, des lits de réanimation et de soins critiques libérés dans les cliniques restent vides ou sous-occupés. Les médecins et anesthésistes libéraux des établissements privés sont peu sollicités», déclarait l'organisation dans un communiqué.
Son président, Lamine Gharbi, regrettait notamment que des patients du Grand Est aient dû être évacués vers Marseille et Bordeaux puis vers l'Allemagne et la Suisse alors que le secteur privé avait localement «libéré 70 places de réanimation dans des cliniques». «Les équipes étaient prêtes, mais n'avaient pas d’équipement barrière (masques, ndlr)», regrettait-il notamment au micro de RMC. Plutôt que de transporter des patients en réanimation - mission particulièrement complexe et délicate -, n'aurait-il pas été plus simple d'acheminer suffisamment de masques vers les régions les plus touchées ?

Les cliniques en deuxième ligne seulement

Du côté du public, le discours était alors fort différent. Le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Frédéric Valletoux, déclarait à l'AFP que, «dans les plans de gestion des crises sanitaires, les hôpitaux publics, qui disposent de moyens plus importants et prennent généralement en charge les accidents les plus graves, sont toujours en première ligne, et les cliniques en deuxième ligne». Que les cliniques privées n'aient pas été fortement associées dès le début ne serait donc pas anormal : les agences régionales de santé, qui pilote la gestion des soins, région par région, privilégieraient d'abord les lieux disposant d'un service d'urgence et d'un siège du Samu, ce qui n'est pas le cas des structures privées.
Frédéric Valletoux n'hésitait pas, en outre, à critiquer l'action - ou le manque d'action - des hôpitaux privés : «L’attitude de certaines cliniques n’est pas toujours très claire. (Certains établissements) ont renâclé à prendre des patients». Même réaction du professeur Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou à Paris qui déclarait sur France Inter que, «sur le terrain, on perçoit souvent des réticences lorsque l’on propose des malades».
Deux semaines plus tard, le discours a changé du tout au tout. L'heure n'est plus à la bataille rangée, mais à la coopération. Sur le terrain, celle-ci est même qualifiée d'optimale. Alors que Lamine Gharbi constatait, lundi 23 mars au micro d'Europe 1, qu'«il n'y avait pas d'échanges» entre public et privé, la FHP affirme aujourd'hui que «les différents acteurs travaillent désormais main dans la main après avoir su mettre en place une action coordonnée et efficace sous l’égide des ARS».
Selon les données les plus récentes fournies par la FHP, 500 cliniques de court séjour ainsi que 300 établissements privés de soins de suite sont aujourd'hui en première ligne. «Nous sommes mobilisés depuis le début de l’épidémie mais c’est depuis que le gouvernement a activé le stade 3 (13 mars, ndlr) que nous sommes au front au même titre que les hôpitaux publics. Nous étions auparavant en préparation et en soutien des 138 centres hospitaliers qui étaient les référents», précise l'organisation.

Île-de-France : 1500 patients pris en charge

Concrètement, ce sont les ARS qui centralisent régionalement la demande et l'offre de soins, établissement par établissement. En cas de manque dans l'un d'eux, la cellule de crise mise en place en leur sein pour le coronavirus se charge, en coordination avec les différentes structures, publiques ou privées, de trouver une solution alternative.
Signe de cette amélioration, Lamine Gharbi révélait le 3 avril dans une tribune au Figaro que 1500 patients étaient hospitalisés dans des cliniques privées en Île-de-France au titre de l'épidémie de Covid-19. À titre de comparaison, le nombre total de personnes hospitalisées dans la région la plus touchée de France était alors de 10.824. Il y a quelques jours, le privé prenait ainsi à sa charge 14% des hospitalisations.
Dans les cliniques, 200.000 interventions chirurgicales non urgentes ont été déprogrammées en trois semaines, permettant la libération de 40 à 60 lits par établissement, selon les données les plus récentes de la FHP, qui résume ainsi ses capacités : «Le secteur hospitalier privé dispose à ce jour en France de 20.000 lits de médecine et de chirurgie et de 10.000 lits de SSR (soins de suite et de réadaptation, ndlr) pour accueillir des patients touchés par le Covid-19».
Les déclarations alarmistes d'il y a deux semaines sur la sous-utilisation des cliniques et le manque de dialogue entre public et privé ne refléteraient donc plus la situation réelle sur le terrain. Le manque de matériel de protection (masques mais aussi gants et surblouses) reste en revanche un «point noir», selon la FHP. Son président demande également le dépistage de l'ensemble des familles. «Ils ont des familles qu’ils exposent quand ils rentrent chez eux. C’est inacceptable !», déclare ainsi Lamine Gharbi. Masques et tests de dépistage : deux sujets qui, une nouvelle fois, résument le mieux les difficultés rencontrées depuis le début par le système de santé français pour gérer l'épidémie de Covid-19.


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