12/02/2018

Macron: un retour vers les heures supplémentaires pour ceux qui sont déjà à temps plein temps.


Heures supplémentaires : une mesure à contre-emploi
Eric Heyer Directeur du département analyse et prévision de l'OFCE
Le gouvernement a indiqué qu’il allait mettre en œuvre la « désocialisation » des heures supplémentaires. Cette promesse du candidat Macron rappelle évidemment la défiscalisation des heures supplémentaires mise en oeuvre durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007-2012). L’ancien président avait exonéré de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu ces heures travaillées au-delà de la durée légale du travail, c’est-à-dire 35 heures. A peine élu, le président François Hollande était revenu sur cette mesure, symbole du précédent quinquennat.

Le gouvernement d’Edouard Philippe propose, lui, une exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires sans défiscalisation, d’où le terme de « désocialisation ». Le calendrier précis n’est pas encore connu, mais le Premier ministre a évoqué « l’horizon 2020 », tout en indiquant que cette mesure serait mise-en-œuvre « dès que possible ». Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et auteur d’une note sur le sujet, explique pour Alternatives Economiques les possibles conséquences d’une telle mesure.
Quelles peuvent-être les conséquences de la mise en place de l’exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires ?
Faciliter le recours aux heures supplémentaires revient à augmenter la durée du temps de travail des personnes en emploi. D’un point de vue conjoncturel, il peut être positif d’augmenter cette durée quand le pays est proche du niveau de chômage structurel1. Mais à l’inverse, si ce niveau n’est pas atteint, augmenter la durée du temps de travail peut avoir des effets nuisibles sur les créations d’emploi.
Selon nos projections, [cette mesure] pourrait détruire près de 19 000 emplois d’ici 2022.
Il y a un débat parmi les économistes pour savoir si nous sommes proches d’un niveau de chômage structurel ou non. Je pense que nous n’y sommes pas et qu’il y a encore du chômage conjoncturel, qui se résorbera avec la croissance de l’activité. Selon les calculs de l’OFCE, le niveau de chômage structurel en France se situe autour de 6,5% ou de 7%, et le taux actuel est aux alentours de 9,5%. Ainsi, selon nos projections, augmenter la durée du temps de travail, en exonérant les cotisations sur les heures supplémentaires, pourrait détruire près de 19 000 emplois d’ici 2022.
Qu’est-ce qui peut motiver cette mesure alors ?
Si l’argument n’est pas sur le temps de travail, il peut viser un objectif de redonner du pouvoir d’achat aux actifs. Mais il n’est pas sûr que cela fonctionne non plus sur ce plan. Cela dépendra du mode de financement choisi.
Ceux qui ne font pas d’heures supplémentaires paieront pour ceux qui en font.
L’exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires a un coût annuel que nous estimons à 3 milliards d’euros. Si le gouvernement laisse filer le déficit, alors effectivement ce sera autant de gagné pour le pouvoir d’achat de ceux qui font des heures supplémentaires. Mais si l’exécutif ne laisse pas filer le déficit, comme il s’y est engagé, alors il faudra bien un nouveau prélèvement pour compenser cette baisse de recettes. Dans ce cas, ceux qui ne font pas d’heures supplémentaires paieront pour ceux qui en font, et donc seront perdants
Quelle vision du marché du travail cette annonce traduit-elle ?
Une vision se rapprochant du « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy, avec la volonté de redonner du pouvoir d’achat à ceux qui travaillent. Mais là encore tout le monde ne fait pas d’heures supplémentaires. D’autant que ce n’est pas le salarié qui choisit, mais l’entreprise qui lui donne, ou non, la possibilité d’en faire. Donc seuls ceux qui ont cette chance pourront bénéficier de gains de revenus.
Surtout, cette mesure traduit le fait que, pour le gouvernement, nous avons atteint un niveau de chômage structurel, avec 9,5% des actifs qui sont sans emploi, et que nous faisons face à des difficultés de recrutement. Certes, ces difficultés existent, comme toujours quand il y a des créations d’emplois. Mais aujourd’hui encore une partie du chômage est conjoncturelle. La chute de l’activité suite à la crise a provoqué une forte augmentation de ce chômage conjoncturel. Et malgré la reprise, nous n’en sommes pas totalement venus à bout.
La désocialisation des heures supplémentaires pourrait-elle accentuer certaines inégalités sur le marché du travail ?
Pour réaliser des heures supplémentaires, il faut être à temps complet, sinon ce sont des heures complémentaires. Donc faciliter les heures supplémentaires, en les exonérant de cotisations sociales, peut accentuer la dualité du marché du travail entre ceux à temps complet et ceux à temps partiel. D’où un risque de creusement des inégalités entre hommes et femmes, par exemple (les secondes étant beaucoup plus souvent à temps partiel que les premiers), mais également entre les salariés des différents secteurs.
Cette mesure pourrait donc être utile dans une autre conjoncture ?
Oui, elle peut être efficace en termes de création d’emploi et d’activité quand on est proche du chômage structurel. Lorsque le candidat Nicolas Sarkozy a envisagé cette mesure, le chômage était autour de 7 %, ce n’était donc pas du tout absurde. Mais elle a été mise en place pendant la plus grande crise économique depuis 1929 ! Résultat : elle a eu un fort effet contre-productif en favorisant la hausse du chômage et en creusant le déficit des finances publiques.
Cette politique n’est donc pas mauvaise en soi, mais elle doit être mise en oeuvre dans un contexte économique favorable.

source: alternatives-economiques.fr  Propos recueillis par Justin Delépine


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