09/02/2018

Les Bourses décrochent. Et alors ?


source: alternatives-economiques.fr Christian Chavagneux

Ça s’agite sur les marchés boursiers. Après le décrochage de Wall Street ces derniers jours, le cours des actions baisse en Asie et en Europe. Comment cela s’explique-t-il ? Par un changement de l’histoire que se racontent les marchés en pariant sur un retour de l’inflation, avec un effet fortement accentué par des petits jeux spéculatifs internes à la finance. Est-ce inquiétant ? A court terme, non. A plus long terme, cela dépendra de la capacité des banques centrales à éviter des hausses trop rapides des taux d’intérêt. Si cela devait se produire, compte tenu de leur dette, les entreprises privées, plus que les Etats, pourraient rencontrer des difficultés.

Un décrochage spéculatif

Depuis son pic de fin janvier, la Bourse américaine a décroché d’un peu plus de 10 %. En Chine, au Japon, en Europe, les marchés sont également orientés à la baisse. Comment tout cela a-t-il démarré ?
Les statistiques de janvier du marché du travail américain montrent un rythme élevé de créations d’emplois et une accélération des hausses de salaires à + 2,9 % sur un an (après +2,7 % en décembre). Les investisseurs anticipent alors un retour de l’inflation lié à une hausse des coûts salariaux et une volonté des banques centrales de contrecarrer cette montée des prix par des hausses rapprochées et importantes de leur taux directeurs, poussant les taux d’intérêt à long terme à la hausse. De ce fait, les placements en obligations redeviennent intéressants après une longue période de taux d’intérêt bas, mieux vaut donc vendre ses actions et se positionner sur les obligations.
Sans préjuger pour l’instant de l’aspect réaliste de ce scénario, il devrait entraîner un rééquilibrage régulier de la structure des placements en fonction des nouvelles le confirmant ou non. Or, on a assisté à des chutes brutales des marchés boursiers. L’explication se trouve dans la progression depuis deux ans de paris spéculatifs d’un genre nouveau.
Le produit à la mode consiste à « shorter la vol », à parier contre le fait qu’il y aura de la volatilité : perdu !
L’essentiel de la finance est devenu un grand bazar dans lequel les investisseurs se promènent pour acheter n’importe quoi du moment qu’ils pensent pouvoir le revendre plus cher. Le produit à la mode ces dernières années consiste à « shorter la vol ». En clair, on ne parie plus sur le cours des actions qui va monter ou baisser, on s’en moque. En revanche, on mise sur le fait que les évolutions seront pépères, sans agitation, sans volatilité (la vol) contre laquelle on parie (on la shorte). Quand, tout d’un coup, les Bourses commencent à s’exciter et que la volatilité revient, on perd son pari. Et pour se refaire, on vend des actions, dont les cours ont bien monté ces dernières années, on prend ses gains, comme l’explique le gros fonds d’investissement Blackrock. Et comme 90 % des ordres de vente se déclenchent automatiquement dès que les marchés baissent, ça rajoute des ventes sur les ventes et provoquent des mouvements importants… ce qui accroît la volatilité…
Un fonds de Crédit Suisse a perdu 92 % de sa valeur : 1,9 milliard parti en fumée
Pour ceux que le jargon des marchés amuse, l’indice de volatilité est le Cboe Volatility Index ou VIX, et parier contre la montée du VIX revient à faire de l’ « inverse VIX ». La banque Crédit Suisse a ainsi créé un fonds d’investissement basé sur cette stratégie qu’elle a baptisé Xiv (l’inverse de Vix !)… qui a perdu 92 % de sa valeur le 6 février dernier : les investisseurs ont donc perdu leur 1,9 milliard de dollars de placements, le fonds a d’ailleurs été fermé. Selon le Financial Times, les fonds placés pour parier sur une faible volatilité approcheraient les 1000 milliards de dollars. Cela fait un paquet de fonds d’investissement qui doivent se refaire, on n’en a pas fini avec quelques mouvements sur les Bourses.

Un scénario injustifié

Le scénario de base d’un retour de l’inflation qui a enclenché le mouvement est-il au moins justifié ? Pas vraiment. L’économie mondiale semble plutôt enfermée dans une « trappe à prix ».
Les cours du pétrole ont monté mais les économistes parient sur leur stabilisation. Les créations d’emplois et la baisse des taux de chômage doivent s’apprécier à l’aune de deux paramètres. Les nouveaux emplois, essentiellement dans les services sont peu rémunérateurs. Et si l’on comptabilise les personnes en temps partiel subi et celles qui sont au chômage parce qu’elles sont découragées de chercher du travail, (cette « armée de réserve » prête à travailler contraint encore les hausses de salaires), cela revient en gros à doubler le taux de chômage officiel.
Plutôt qu’un retour de l’inflation, on est plutôt dans une trappe à prix
Comme l’explique le Fonds monétaire international (FMI), la dégradation des conditions d’emplois défavorise les salariés en empêchant les hausses de salaires. Et quand le marché du travail s’améliore, la faible croissance devenue structurelle des gains de productivité, laisse très peu marge de manœuvre pour les augmentations salariales.
Le scénario hausse des salaires qui entraîne une hausse des prix qui entraîne une hausse des taux d’intérêt rapide et forte est donc loin d’être installé. Pour autant, les banques centrales ont de fait marqué leur volonté de sortir des politiques d’argent facile initiées après la crise. Les taux d’intérêt sont donc orientés pour les années qui viennent sur une pente ascendante. Est-ce grave là encore ?

Attention aux dettes privées

La banque centrale des Etats-Unis va continuer ses hausses de taux directeurs cette année, la Banque d’Angleterre a déclaré le 8 février qu’elle serait sûrement amenée à remonter le sien plus rapidement que prévu et la BCE pourrait s’y mettre en 2019. L’orientation est donc claire.
Cela va-t-il se traduire par des hausses rapides des taux d’intérêt à long terme, ceux auxquels empruntent les entreprises, les ménages et les Etats ? D’abord, ce n’est pas le choix des banques centrales. Elles souhaitent augmenter leur taux directeur pour se laisser des marges de manœuvre de baisse en prévision de la prochaine crise, mais elles tentent de le faire en maîtrisant les taux d’intérêt réels à long terme, ceux qui tiennent compte de l’inflation. Et elles y réussissent, ces derniers restent faibles ou négatifs.
Les facteurs de maintien de taux d’intérêt bas sont toujours là
Ensuite, toutes les liquidités distribuées par les banques centrales ces dernières années sont encore là. Si elles en réduisent le flux, le stock est présent et important, nourrissant une demande pour les actifs financiers, notamment les obligations, dont les taux pourraient donc rester faibles. Et ce d’autant plus que l’Allemagne, la Chine et les pays exportateurs de pétrole ont besoin de placer leurs excédents, ce qui contribue là encore à maintenir les taux bas.
Si les taux à long terme devaient tout de même monter du fait d’un surajustement des marchés quelles en seraient les conséquences ? Les économistes libéraux n’attendent que cela et montent en épingle toute tension sur les taux comme le signe avant-coureur d’une prochaine faillite des dettes publiques. Pourtant, le risque principal porte plutôt sur les dettes privées.
Entre 2011 et 2017, la dette privée mondiale des entreprises a progressé de 15 points !
Selon les données du FMI, en moyenne, les dettes publiques mondiales représentent l’équivalent de 106 % du PIB à la fin 2017 contre 104 % en 2011. De son côté l’agence Standard & Poor’s estime que la dette des entreprises privées non financières est équivalente à 96 % du PIB mondial contre 81 % en 2011. La dette des entreprises progresse très vite tandis que celle des dettes publiques est plutôt orientée à la baisse : ceux qui s’inquiètent des rythmes de dette devraient mettre la dette privée au cœur de leurs préoccupations.
Et d’autant plus que 37 % de cette dette privée est le fait de gros emprunteurs (une dette supérieure à cinq fois les revenus). En France, le Haut conseil de stabilité financière s’est inquiété récemment du niveau d’endettement inquiétant des grands groupes français. Et il ne faut pas oublier que les établissements financiers sont également endettés : sur la période 2018 – 2022, Standard & Poor’s considère que 40 % des 10 231 milliards de renouvellements de dette privées seront de leur fait.
Si une remontée mal maîtrisée des taux d’intérêt à long terme devait survenir, ce sont bien les conséquences sur les charges de remboursement de la dette privée qu’il faudrait surveiller de près. De quoi nourrir la volatilité des marchés…

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