Même si Macron n'est certainement pas le général de Gaulle, et même si les institutions de la Ve République sont, contrairement aux idées reçues, le meilleur garant institu­tionnel d'une recomposition politique, la situation que nous vivons actuellement rappelle celle de 1958.
2017 présente en effet avec 1958 trois traits communs : la perception par l'opinion d'un blocage du système politique qui ne parvient plus à régler les problèmes majeurs du pays, comme ce fut le cas pour l'Algérie en 1958 ; un discrédit profond de la classe politique ; enfin, la montée en puissance de forces extérieures au jeu dominant, comme cela avait été le cas avec les gaullistes d'un côté et les communistes de l'autre. 

Mais pourquoi cette explosion intervient-elle alors que la tripartition remonte à plusieurs années ? Fondamentalement parce que l'on a cru que l'absence d'alliance entre la droite et le FN ou entre la droite et la gauche ­rendait le clivage gauche-droite indépassable, et cela notamment grâce au scrutin majoritaire à deux tours. Et c'est vrai que lorsque, dans un jeu à trois, aucune combinaison entre deux n'est possible, c'est le statu quo qui prévaut. 

Que s'est-il donc passé depuis ? C'est là qu'intervient le facteur Macron .

Des accélérateurs inattendus

Ce dernier a non seulement perçu que le clivage gauche-droite était une des sources de blocage du système français, mais aussi qu'il était temps, à la faveur de la présidentielle, de lui porter l'estocade.
Comme Valls avant lui, Macron a vu que dans cette quadripartition, la ­gauche était la plus vulnérable, car engagée dans un processus interne de destruction massive causé par la cassure irrémédiable entre une gauche qui veut gouverner et une gauche qui ne veut que s'opposer. Un problème aggravé par le fait que la ligne de clivage entre ces deux gauches passe à l'intérieur du Parti socialiste. Un point majeur. 

Dans cette nouvelle donne, Macron a bénéficié de trois alliés. Le premier est Bayrou. Son soutien est d'une portée considérable. Son intelligence est d'avoir compris qu'il y avait une dynamique Macron et qu'il convenait de l'amplifier pour atteindre, au fond, l'objectif qui fut toujours le sien : recomposer le système politique français.
La ­gauche du Parti socialiste aura accentué la fracturation de la gauche et permis son dépassement par la gauche radicale.
Mais la dynamique Macron doit également au soutien inattendu des deux accélérateurs de recomposition que sont, à leur corps défendant, Fillon et Hamon. 

Fillon, d'abord, dont l'impéritie morale plongea la droite dans une crise grave après les législatives. Hamon, ensuite, qui croit que la gauche constitue une identité indépassable dont la présence sur terre serait aussi nécessaire que l'air ou l'eau à condition de la débarrasser de ses impuretés. Sauf qu'aujourd'hui, une bonne partie de l'électorat socialiste de centre gauche fuit en masse vers Macron et que, de surcroît, la gauche radicale de Mélenchon est en train de prendre le dessus sur le candidat du Parti socialiste. 

Ainsi, la ­gauche du Parti socialiste, désormais chargée des opérations, aura accentué la fracturation de la gauche et permis son dépassement par la gauche radicale, pour la première fois depuis Epinay.

Un embryon de recomposition

La recomposition n'en est qu'à ses débuts. Elle ne prendra corps que si Macron se fait élire et parvient à dégager une majorité parlementaire solide. 

De ce point de vue, le parallèle avec 1958 est intéressant puisque, au cours des élections de novembre 1958, l'UNR [Union pour la Nouvelle République, dont est issu le parti Les Républicains, ndlr] n'était pas parvenue à avoir la majorité absolue à elle toute seule. Car pour acquérir la majorité absolue, En marche aurait besoin d'obtenir plus de 20 % des suffrages au premier tour, et plus de 35 % au second.

Il est donc probable que l'on assistera à l'émergence d'une majorité présidentielle dans laquelle prendraient part des députés d'En marche, le Modem, des députés de la droite juppéiste ainsi que des députés progressistes qui, sans renier leur identité socialiste d'origine, prendraient leur part à une majorité présidentielle sur la base d'un contrat de gouvernement. 

Zaki Laïdi est politologue au Cevipof (Sciences Po). Il est fondateur de Telos. Il a été conseiller politique de Manuel Valls à Matignon.