29/01/2016

Syrie: A court terme, il n'y a pas d'autre solution- que Bachar Al-Assad | Hassan Rohani

Une leçon de politique du système monde d'aujourd'hui.

Le président Hassan Rohani évoque la guerre en Syrie et les relations de l'Iran avec l'Occident
Au terme de sa visite de deux jours en France, la première d'un président iranien depuis dix-sept ans, Hassan Rohani a accordé, jeudi 28  janvier, un entretien exclusif au Monde, à France 24 et à France Culture. Il aborde la crise entre l'Iran et l'Arabie saoudite, les négociations de paix sur la Syrie, la lutte contre le terrorisme et les élections législatives à venir dans son pays.
Vous avez été reçu par le pape à Rome et par François Hollande à Paris. L'Iran n'est plus un paria sur la scène internationale ?L'Iran n'a jamais été un paria, avant comme après l'accord nucléaire. En  2013, mon initiative pour un monde sans violence et sans extrémisme a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée générale des Nations unies. A cette occasion, je m'étais entretenu avec un grand nombre de leaders européens : ils étaient tous contre les sanctions et j'ai eu le sentiment que rares étaient les pays qui -souhaitaient isoler l'Iran. L'Iran a quelque peu souffert de cette situation sur le plan économique, mais, désormais, nous sommes dans une situation plus favorable.  

Avec les Etats-Unis, vous échangez des prisonniers et vous avez des échanges diplomatiques. Est-ce que ce n'est pas déjà une forme de normalisation ? Il y a un nombre important de différends accumulés ces 37 dernières années avec les Etats-Unis, il est très difficile de tous les résoudre en un laps de temps aussi court. J'ai dit lors de mon entretien - avec le président Barack Obama -que nous souhaitions atténuer la tension entre les deux pays et il me semble qu'elle a diminué. Dès que les élections, en Iran et aux Etats-Unis, seront passées, nous devrons reprendre le fil des choses. Entre deux grands pays, les problèmes ne sont pas appelés à perdurer et nous les -réglerons un jour. Mais, à court terme, il est évident qu'il sera très difficile de tout régler.  

Y a-t-il un tournant de la politique américaine dans la région dans le sens d'un rapprochement avec l'Iran et d'une plus grande distance avec l'Arabie saoudite ? Le dossier nucléaire en soi constituait un problème difficile et compliqué. L'Amérique a joué un rôle actif et important dans son règlement. Le fait que nous ayons passé cet accord avec le groupe 5 + 1 - Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne - constitue un pas en avant. S'agissant des négociations sur la Syrie, nous participons à des réunions auxquelles les Etats-Unis participent également, ce qui était inconcevable il y a quelques années. Les choses ont beaucoup changé. Les Américains trouvent que l'Iran est le seul pays de la région capable de combattre le terrorisme. Nous tenons des élections régulières en Iran, alors que les pays qui nous entourent ont très rarement procédé à des élections démocratiques.  

Vous parlez peut-être ici de l'Arabie saoudite, avec laquelle vos relations sont rompues depuis l'exécution d'un dignitaire chiite suivie du saccage et l'incendie de l'ambassade saoudienne à Téhéran… Certains événements se sont produits entre nos deux pays sur lesquels nous ne sommes pas d'accord. D'une part, il y a eu la mise à mort d'un religieux chiite important qui militait contre la discrimination. Le peuple iranien a été très attristé et même les pays occidentaux ont condamné cet acte contraire à tous les principes. D'autre part, vous savez ce qui s'est passé à Téhéran contre l'ambassade saoudienne. Nous n'avons pas approuvé ces actes, j'ai été le premier à les condamner et j'ai donné l'ordre d'arrêter les fautifs. Ils sont en prison et -seront jugés. Mais la réaction de l'Arabie saoudite était disproportionnée par rapport à ces événements. Cela me fait penser à quelqu'un qui a commis une faute et qui sème le chaos pour échapper à sa responsabilité. Le peuple saoudien est notre voisin et notre frère en religion. Nous devons régler avec sagesse les problèmes qui nous éloignent l'un de l'autre.

Quels gestes attendez-vous de Riyad pour restaurer les relations diplomatiques ? Le pays qui a rompu les relations - diplomatiques - doit faire le premier pas pour les rétablir et -remédier à cette situation. Je suis persuadé que l'Arabie saoudite regrettera ses actes dans le futur. Nous n'avons rien à compenser.

 Vous accusez les Saoudiens de financer le terrorisme et le mouvement Etat -islamique (EI). Quelles sont vos preuves ? Ce n'est pas difficile, il suffit de demander aux gouvernements et aux peuples touchés par le terrorisme, en Irak, en Syrie. Cette pensée de la violence, d'où vient-elle ? Quelles sont ses racines ? Qui a mené les premières actions terroristes, quelle nationalité ? Tout cela est facile à vérifier. Le problème n'est pas là. Il faut que tout le monde dans la région combatte le terrorisme, qui est une menace pour la région mais aussi pour le monde entier.  

Etes-vous prêt à unir vos efforts et à travailler avec la Coalition internationale contre l'EI à laquelle appartiennent la France et les Etats-Unis ? Il y a aussi une coalition entre l'Iran, l'Irak, la Syrie et la Russie, il existe beaucoup de coalitions. Sans notre aide, d'autres villes -irakiennes que Mossoul seraient tombées. L'important, ce ne sont pas les appellations, ce sont les actes. Si nous voulons agir en Irak, il faut se coordonner avec le gouvernement irakien.

 Vous perdez beaucoup d'hommes en Syrie, même des généraux. Jusqu'à quand va durer votre présence militaire en -Syrie ? Nos conseillers sont présents en Irak et en Syrie à la demande des gouvernements de ces pays. Quand des conseillers militaires sont envoyés dans une région en guerre, il se peut qu'il y ait des martyrs. Nous ne sommes pas prêts à accepter l'insécurité en Irak, en Syrie et même en Afghanistan. L'insécurité dans ces pays peut se propager à d'autres pays. Donc, nous ne pouvons pas prévoir combien de temps.

 Des négociations de paix sur la Syrie devaient débuter vendredi matin à Genève. Qu'en attendez-vous ? Nous espérons que ces négociations aboutissent le plus rapidement possible, mais cela m'étonnerait parce qu'en Syrie, il y a des groupes qui sont en guerre contre le gouvernement central, mais aussi entre eux. Il y a aussi des ingérences étrangères et des envois d'armes. La solution à la crise syrienne est politique, mais il sera compliqué d'y parvenir en l'espace de quelques semaines et quelques réunions. C'est trop optimiste. La question syrienne réclame les efforts de tous, elle doit être notre priorité. Il nous faut commencer par combattre et éradiquer le terrorisme, pour créer les conditions adéquates d'un retour à la paix et à la stabilité, afin que les réfugiés rentrent chez eux. Ensuite, il faudra amender la Constitution. Des négociations entre le gouvernement central et les opposants doivent conduire à des élections. Il y a beaucoup de choses à faire. Un cessez-le-feu est la première d'entres elles.  

Il semble que les dirigeants occidentaux sont de plus en plus prêts à s'accommoder --de -Bachar Al-Assad, malgré -les -crimes qu'il a commis. En Syrie, ceux qui commettent les crimes sont les terroristes, ils décapitent les innocents, commettent des massacres. Ce sont eux les vrais criminels. Il faut les détruire, les éradiquer. Quant à l'avenir du gouvernement syrien, cela n'a pas d'intérêt au moment où nous sommes. A court terme, il n'y a pas d'autre solution- que Bachar Al-Assad - . Si nous voulons combattre le terrorisme, il faut aider l'armée syrienne, qui ne peut pas faire son travail sans un gouvernement central solide. Ce dilemme Bachar/pas Bachar ne reflète pas la réalité du terrain. On peut y penser à long terme, mais les pays occidentaux doivent accepter cette réalité : ils ne peuvent pas choisir à la place du peuple syrien. Nous devons d'abord rétablir la sécurité du pays. Sinon comment organiser des élections valables alors que 60  % du territoire sont occupés par des terroristes ? Comment concevoir un avenir dans ces conditions ? La lutte -contre le terrorisme doit être la base de tout.

 Des législatives doivent se tenir fin février en Iran. De nombreux candidats ont été disqualifiés et vous avez fait part de votre irritation. Est-ce que vous avez l'impression que certains groupes essaient de bloquer vos réformes ? Les candidatures aux législatives passent par plusieurs étapes. Le Conseil des gardiens de la Constitution se prononcera en dernier ressort. Nous attendons son intervention pour que les choses aillent dans le sens d'une plus grande participation de la population. Il ne faut pas décevoir les Iraniens. Il existe chez nous des courants de pensée différents et donc des divergences. On peut s'opposer à la politique du gouvernement. Ceci dit, il faut que ce soit dans le -cadre de la loi et de la morale.

 Pendant votre campagne, vous aviez promis des améliorations en matière de droits de l'homme et de liberté d'expression. Or on continue d'emprisonner des journalistes et d'exécuter des mineurs. Le gouvernement agit dans les limites de ses compétences et le peuple connaît parfaitement ses limites. Le pouvoir judiciaire est indépendant, le législatif aussi. Il se peut qu'il n'y ait pas d'identité de vue entre ces trois pouvoirs. Je peux proposer des lois à l'assemblée qui ne les adoptera pas. Sur tel ou tel dossier, je peux avoir ma propre opinion. Mais il est essentiel que nous respections la loi. En tant que président, même si je ne suis pas d'accord avec une mesure votée par l'Assemblée et ratifiée par le Conseil des gardiens, je suis obligé de l'appliquer. S'agissant de mes promesses, j'ai honoré une grande partie d'entre elles. Pour le reste, je fais tous les efforts possibles. La situation économique s'est améliorée, mais nous allons avoir une année difficile à cause du prix du pétrole, qui est passé de 100  à 20  dollars. Il reste que la situation actuelle diffère beaucoup de celle qui prévalait avant mon arrivée et personne ne peut me critiquer. D'ailleurs, aujourd'hui, beaucoup de gens peuvent se permettre de critiquer le gouvernement en toute liberté. Dans les universités, des groupes politiques s'expriment librement. J'espère honorer mes promesses dans le temps qui me reste.

Propos recueilli par, Christophe Ayad (" Le Monde "), Marc Perelman (France 24) et Ludovic Piedtenu (France Culture)

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